Avec City Life, l’Ensemble intercontemporain sous la direction de Pierre Bleuse nous convient à un répertoire éclectique qui dit toute la richesse de nos vies (sonores) urbaines : stimuli, graffiti et sons bruts…Sensationnel !
Pour se première date de la saison à Paris, la formation qui excelle à faire vivre le répertoire contemporain, nous offre un panorama du lien qu’entretiennent les compositeurs et compositrices à la ville.
C’est avec Légendes urbaines de Tristan Murail que s’ouvre le concert. Il y joue des attendus d’une oeuvre sur la ville de New York. Il ne faut donc pas compter sur lui pour évoquer les clichés sur la Grande Pomme. Au contraire, il nous emmener en des lieux moins évoqués : le ferry de Staten Island qui embarquait celles et ceux qui venaient chercher une vie meilleure, le pont Washington… Ici tout se joue par accumulation de couches sonores, une des empreintes formelles de Murail : la participation nous sollicite de toute part comme le fait une ville. L’auditoire est comme submergé par les sons, ce jeu de pistes d’associations de sons, d’images, de souvenirs. Une partie des cuivres sont dispersés dans la salle, le piano répond aux percussions. L’on se surprend à chercher d’où vient le son comme quand on traverse une ville qui nous est à la fois familière et étrangère. La pièce se nourrit également des grands maîtres qu’affectionne Murail. On pense aux Tableaux d’une exposition de Moussorgski mais aussi et surtout à son professeur au Conservatoire de Paris, Olivier Messiaen. Référence étonnante pour évoquer la ville mais sa présence toute diffuse qu’elle soit se ressent lorsque l’on reconnaît les chants d’oiseaux dissimulés dans l’oeuvre.
C’est avec Graffiti de la compositrice coréenne Unsuk Chin que se poursuit notre balade sonore et musicale. L’élève de Ligeti joue de tous les possibles des instruments pour nous faire « voir » sa musique. Il n’est pas question en utilisant ce verbe d’une coquetterie. Ces visions sont réelles tant elle nous offre une version synesthésique de cet art urbain qu’est le « graf ». Le travail des instruments à cordes est ici tout à fait singulier : le son est martelé par l’archet, les cordes pincées puis frottées, s’ajoutant là dessus, le travail des vents, des cuivres, un piano et même une harpe. Ces couleurs musicales, composites, évoquent bien sûr les images successives, recouvertes les unes par les autres des artistes urbains. Mais Unsuk Chin nous livre aussi une vision de la ville plus sombre, plus inquiétante que Murail. Elle nous perd, volontairement, dans les méandres de la cité et de ses propres représentations.
Enfin, c’est par le chef d’oeuvre de Steve Reich, qui donne son nom à la soirée, que se ferme le programme. City Life. Pièce emblématique de la musique minimaliste contemporaine et l’une des premières à intégrer des échantillons sonores enregistrés dans une œuvre pour ensemble acoustique. Reich utilise deux samplers numériques, chacun piloté par un clavier. Les enregistrements incluent : voix de passant, sirènes d’ambulance si caractéristiques de la ville de New York, klaxons de voiture. On est plongés dans cette ville qui tout à la fois attirent et inquiètent par sa dimension. Ces sons intégrés de manière rythmique, parfois même harmonisée avec les instruments. Pierre Bleuse les dirige comme si cet ailleurs était dans la salle. Il les re-présente au sens fort du terme. Si elle est peut-être plus facile à aborder que les deux autres oeuvres du programme, la pièce de Reich n’est en pas moins sombre par endroits. En effet, les voix enregistrées évoquent l’explosion l’attentant terroriste par un camion bourré d’explosif de la tour Nord du World Trade Center en 1993.
Chef dansant, généreux, Pierre Bleuse nous offre une fenêtre sur nos imaginaires nourris de sons, d’images mêlant passé et avenir. On pense tout au long du concert aux vers d’Apollinaire dans « Zone », le poème liminaire d’Alcools où il dit combien la ville est une symphonie pour qui y prête attention. Par ce programme, l’Ensemble intercontemporain nous dit combien la beauté (de la ville) et des les yeux et les oreilles de celles et veux qui la traversant. Et l’on sort de la salle de la Cité de la Musique avec la ferme intention d’entendre la musicalité de Paris.
Visuel : DR