Prix du scénario en section Orizzonti au Festival de Venise l’an dernier, le film choral Chroniques d’Haïfa de Scandar Copti arrive sur nos écrans, et propose une vision quatre fois subjective sur les dominations et injonctions culturelles que subissent les palestiniens vivant en Israël, déjà et encore à la veille du 7 octobre 2023.
Fifi, 25 ans, a quitté le cocon cossu de sa famille « palestinienne de 1948 » qui s’est installée et a réussi à établir une belle situation financière à Haïfa. Elle étudie à Jérusalem où elle vit au rythme des fêtes juives, mais, déguisée et maquillée, elle a un accident le soir de Kippour, jour saint. Son frère Rami travaille avec leur père et apprend en même temps que ce dernier a commis une erreur qui provoque leur ruine, et que son amoureuse – juive et israélienne – est enceinte et veut garder l’enfant. Hanan, la mère, est le pilier de la famille et c’est elle qui vit de plein fouet la crise familiale qu’elle tente de nier, alors que toute son attention était focalisée sur la cérémonie de mariage de son troisième enfant. Le mariage somptuaire est remplacé par un miroir déformant et très réaliste des tensions qui traversent vraiment ses proches, entre modernité et tradition, identité et langue arabe, et modernité envahissante de l’État.
Film choral superbement écrit, porté avec grâce par des acteurs et des actrices non professionnel·les, Chroniques d’Haïfa propose au public de se confronter à ses propres préjugés, lorsque la reprise de la narration des faits par un autre personnage dément les ides reçues. En passant d’un point de vue à l’autre, les événements prennent un sens nouveau, avec une caméra qui cadre au plus proche les visages et propose un véritable récit de ce drame familial et quotidien. En ressort, l’impression terrible d’enclume qui pèse sur les personnages à la fois si vivants, bilingues en arabe et en hébreu, amphibies entre les lois du foyer parental et l’individualisme dans laquelle baigne la société israélienne. Mais leur slalom entre les langues, les coutumes et les cultures, dans le cadre d’une domination claire des unes par les autres les place face à une montagne d’injonctions contradictoires insurmontables. Passer par l’intime pour évoquer toutes les ambiguïtés et les injustices du rapport entre deux peuples fonctionne très bien, sauf que le film a été tourné en 2022 et que, trois ans après, il y a quelque chose d’un peu (dé)passé dans cette violence quotidienne et très symbolique de la culture dominante sur la culture dominée depuis 60 ans. Quelque chose qui semble peut-être un peu à côté des enjeux, là où le plus intime devrait connecter avec le plus universel.
Chroniques d’Haïfa, de Scandar Copti, avec Manar Shehab, Toufic Danial, Wafaa Aoun, Imad Hourani, Palestine, Allemagne, France, Italie, 123 min, Sortie française le 3 septembre 2025.
Visuel : © Nour Films.