La Sirène, c’est toujours cette cathédrale posée en bord de zone, dans l’ombre des docks, une sorte de vaisseau fantôme signé de l’architecte-star Patrick Bouchain. Pour son ouverture de saison le 19 septembre, le paquebot rochelais a décidé de tirer à beats réels : 100% Ladies, 100% urbain, 100% électro. Autrement dit : l’air du temps en intraveineuse.
19h tapantes, Pallice se repeuple. L’ancien quartier ouvrier, désormais pris d’assaut par une hype en quête de bons plans immobiliers, voit se presser aux portes du 111 boulevard Delmas une petite foule de fidèles. Ça cause fort, ça guette le line-up, ça claque des selfies devant les fresques. On sent déjà la sueur de la nuit à venir.
La Sirène a ses manies : s’arrimer aux forces vives de la ville. Ce soir, c’est Ladies in the West, le festival qui redonne leurs couleurs aux graffeuses, aux plasticiennes, aux freaks féminines qu’on relègue trop souvent dans l’ombre. David Fourrier, le capitaine de bord, en fait presque un manifeste : « Le graf est souvent associé aux hommes. Or, il y a de nombreuses artistes femmes qui enchantent les murs de nos villes. Je milite pour une inclusivité de la femme dans tous les arts, ceux de la musique tout comme ceux des arts urbains. Nous associer à Ladies in the West en cette ouverture de saison, est une belle opportunité. Je dirais même que c’est un acte artistique, stratégique, philosophique et politique ! ». Et c’est dit sans trembler.
Dès les grilles ouvertes, ça se rue vers les bars et les foodtrucks. On croise les étudiants un peu queer, les retraités curieux, les élus en veste sombre, les rockers en préretraite. Une faune disparate, mais une même curiosité pour ce qui se trame derrière les murs. Zoia ZerOne, pour commencer, avec sa fresque d’une divinité hip hop féminine aux traits mouvants : un peu Lauryn Hill, un peu Hendrix, selon l’œil du passant. Drash La Krass, ensuite, qui balance ses collages fluo comme des uppercuts – Madonna, Bowie, Nina Hagen, Mylène Farmer, Prince : des icônes mutantes réassemblées façon freak pop, dark mais pailleté. Un régal !
Et puis la musique. C’est là que le paquebot prend le large. Okali ouvre les hostilités, trip-hop de velours, voix qui caresse et qui mord. La douceur avant la tempête électro. Car la tempête arrive : DeLaurentis, prêtresse du 360°, balance son show immersif, multimédia, couleurs et sons en fusion totale. La salle chavire. « Cécile est ultra-talentueuse. Nous l’avons accueillie l’an passé en prévision de son show programmé aux Transmusicales rennaises. Son parcours de musicienne me bluffe et l’expérience sonore qu’elle propose ce soir m’emballe totalement. Je la soutiens dans cette expérience du son immersif, tendance actuelle que le public apprécie particulièrement. » dixit le directeur du lieu.
La suite déroule comme un manifeste techno : Romane Santarelli, Gildaa, Asmine Not Jafar, Andrea Pembad’Ys, Ladies from Nyort… Les sirènes se succèdent, les beats cognent, les corps répondent. Gros coup de cœur pour Romane, étoile montante de l’electro française, qui mixe pendant qu’un duo de danseurs traduit sa musique avec leurs corps électriques et leurs ombres projetés sur les murs ciment de la SMAC.
Qu’on se le dise : la parité, ici, ce n’est pas un slogan creux. « Les musiciennes portent en ce moment des projets et des visions artistiques à la qualité incontestable. A La Sirène, et sans calcul au préalable, notre saison 25/26 atteint la parité homme- femme. La programmation atteint 42% de femmes, presque un cas d’école dans le paysage français » précise David Fourrier. Et la maison a de la suite dans les idées : déjà, elle annonce une alliance future avec le festival hivernal « Les Femmes s’emmêlent ».
Au petit matin, quand les corps retombent et que la ville s’endort à nouveau, il reste cette impression : La Sirène n’a pas seulement ouvert sa saison. Elle a affirmé, haut et fort, que la fête peut encore être un manifeste. Dans un monde où les festivals se vident de leur sens, plombés par la crise et les bilans dans le rouge, le vaisseau rochelais continue son voyage, porté par un public fidèle et une énergie qu’on croyait disparue.
Trip-hop, techno, hip-hop étaient au menu de la soirée de lancement « Opening Night festival Ladies ». ©Incognito photographes