Chana Orloff, femme forte, sculptrice libre au Musée Zadkine

Rétrospective dans le musée idoine

On pourrait croire que l’écrin délicat du Musée Zadkine est un peu petit pour abriter le puissance des sculptures de Chana Orloff et aussi le nombre des œuvres présentées (une centaine tout de même !). Mais il n’en est rien : le choix d’un accrochage thématique, le fait de n’avoir gardé qu’une pièce de Zadkine par section, le cadre du jardin où les œuvres de Orloff dialoguent avec celles de Zadkine (dont elle a sculpté la fille qui était en cours avec son fils) et la proximité avec son atelier historique, rue d’Assas, avant qu’elle ne déménage dans celui que lui a créé Auguste Perret près du Parc Montsouris, en font le lieu parfait – et très fréquenté – pour s’immerger dans son œuvre.

Une sculptrice majeure

Et dès la première salle, consacrée à ses portraits de Montparnasse de 1910 à la Seconde Guerre mondiale, Chana Orloff apparaît comme une femme forte qui a permis à l’artiste d’éclore. Née en 1888 en Ukraine, ayant échappé à des pogroms en partant vivre en Palestine avec sa famille, elle est venue à Paris en 1910 avec pour projet de faire de la couture. Mais elle est trop douée en dessin. Et surtout en sculpture, voit-on dans l’exposition où ses galeries de personnages connus de Montparnasse (Otto Rank comme Auguste Perret), ses allégories (ses danseurs, absolument sublimes, sa famille, royale…), ses animaux totems qu’on retrouve aussi dans le jardin, aussi bien que ses très expressionnistes gravures sont autant d’œuvres où la matière semble s’émanciper de tous les académismes pour présenter – et même imposer de tout son volume – l’essentiel.

Une femme forte qui fait bouger les lignes et les genres

Ce caractère massif de la matière (même quand il s’agit de terre peinte), elle se l’applique à elle-même dès le premier autoportrait que l’on aperçoit à l’entrée de l’exposition. Assez vite, c’est dans le rôle de mère qu’elle s’incarne, avec nombre de femmes enceintes et de maternité mais aussi en amazone. Mariée en 1916 au poète polonais Ary Justman, elle est veuve dès 1919 et s’occupe seule de son fils Élie (alias « Didi », qui est le sujet de la sculpture restituée et donc au cœur de l’exposition sur les œuvres de Chana Orloff spoliées au mahJ) et l’exprime dans de nombreuses œuvres. Femmes fortes de la Bible et Amazones sont au cœur de ses travaux les plus importants. Une baigneuse monumentale s’encastre superbement dans une porte-fenêtre et l’exposition va jusqu’à suggérer qu’à force de dévoiler les muscles des femmes, Chana Orloff aurait volontairement voulu faire flotter certains attributs de genre… De là à dire que Chana Orloff était queer, c’est un peu beaucoup peut-être : les baigneuses de Picasso et les Amazones de Léger étaient aussi assez musclées.

Un portrait majeur

Néanmoins, l’exposition nous montre superbement la renommée de Chana Orloff, revenue en France après la Seconde Guerre mondiale et ayant eu des commandes de la part du tout jeune État d’Israël  (notamment la Maternité du Kibboutz d’Ein Gev, reproduite grandeur nature dans l’atelier d’Ossip Zadkine). Elle montre aussi ses fantômes et son inscription comme femme, juive et artiste dans son siècle, avec notamment sa sculpture la plus proche de Giacometti, Le Retour (des camps, donc), entourée des études qui l’ont précédée.

Une exposition exceptionnelle, à voir avant le 31 mars.