Caroline Marcilhac est la directrice de Théâtre Ouvert, un lieu-monde où les textes vont de la pensée à la scène. Elle nous parle de cet endroit seul en son genre.
Au début, c’était le nom d’une collection chez Stock qu’avait lancée Lucien Attoun pour défendre le théâtre contemporain et les nouvelles générations d’auteurs et autrices, après une engueulade qu’il avait eue avec Jean Vilar, lorsque celui-ci prétendit qu’il n’y avait plus d’auteurs en France. Après quelques années, les éditeurs ont eu besoin d’une maison. L’idée de Théâtre Ouvert était qu’après la lecture de textes, on les amenait sur le plateau.
À l’époque, en 1988, la mairie de Paris et l’État leur donnèrent raison, et le lieu prit ainsi le nom de « Théâtre Ouvert ». Il s’agit d’abord, et encore aujourd’hui, d’une maison ouverte aux auteurs des jeunes générations, pour qu’ils puissent y travailler, s’y rencontrer et développer leur projet d’écriture jusqu’au plateau.
Ensuite, on a souhaité le rendre plus ouvert au public. Avant, il s’agissait d’une petite étoile cachée derrière une impasse du XVIIIe arrondissement. Quand je suis arrivée, je me suis dit qu’il était important de confronter le public, et notamment les jeunes, à cette nouvelle génération d’auteurs. Pour cela, on a proposé des festivals qui permettaient de rassembler, de rendre à la fois plus visible et plus proche des spectateurs et des spectatrices le travail qui se fait au long de l’année à Théâtre Ouvert. Nous avons donc mis en place deux festivals. On voulait également ouvrir le lieu en journée, afin que les gens puissent venir y travailler pendant les heures d’ouverture du théâtre sans obligation de payer ou de se rendre aux spectacles. Évidemment, on discute tout de même avec eux, et on est très heureux lorsqu’ils peuvent se rendre dans les salles. Nous avons donc travaillé pour qu’il soit plus accessible au public.
Quand je suis arrivée, il y a dix ans, Théâtre Ouvert travaillait déjà avec une ou deux écoles de théâtre. L’idée était d’élargir ce travail à la nouvelle génération de praticiens du théâtre. Le théâtre est aussi générationnel, et nous avons voulu mettre en relation des étudiants et étudiantes de théâtre (de l’École supérieure du théâtre et des filières d’enseignement supérieur comme l’université de Nanterre), avec des auteurs et autrices. On travaille maintenant avec cinq écoles de théâtre, ce qui fait environ cent étudiants par an. L’idée est à la fois qu’ils lisent des textes de théâtre contemporain, qu’ils pratiquent comme nous le principe de la « lecture silencieuse », avec ce que cela implique du rapport de lecture et des échanges avec nous, et qu’ils rencontrent les auteurs et autrices, pour découvrir un rapport au texte, où ce dernier n’est pas le seul interlocuteur du comédien, de la comédienne ou du metteur en scène.
L’édition est historique chez Théâtre Ouvert. Théâtre Ouvert a été le premier à éditer Bernard-Marie Koltès, Jean-Luc Lagarce… À partir des textes que nous recevons, qui sont des textes inédits, l’idée est de permettre la légitimation d’auteurs et autrices nouveaux. Cela permet de faire apparaître un nouveau répertoire théâtral, en tout cas, d’y contribuer, et de légitimer des auteurs et autrices dans le fait de l’être. Ils sont souvent comédiens ou comédiennes, metteurs en scène, ou simplement sortis de l’université, et ils n’ont pas souvent la légitimité pour se sentir membres de la nouvelle génération d’auteurs et autrices dramatiques.
On publie quatre textes par an, et on ne publie que des auteurs et autrices qui n’ont pas déjà été publié.e.s. Quand j’ai découvert, par exemple, Pour un temps sois peu de Laurène Marx, il n’était pas édité. Elle a été éditée par Théâtrales lors d’un partenariat avec le festival de l’Institution de Bretagne. À partir de ce moment-là, on a continué à lui permettre de développer de nouveaux textes à Théâtre Ouvert, comme Jag et Johnny, que vous lirez peut-être, ou comme dans Je vis dans une maison qui n’existe pas. Mais ces textes, on ne les publiera pas, car Laurène Marx est publiée par ailleurs et n’a pas besoin de cette légitimité d’autrice, contrairement à d’autres.
Oui, et L’Araignée, au départ, c’était très long. Elle avait toute cette matière qu’elle avait collectée près de Besançon, dans le Doubs, autour de la question des mineurs non accompagnés de l’aide sociale à l’enfance. Je lui ai dit de me rejoindre dans le studio, avec ce texte très long, pour essayer de le rassembler et de faire ce monologue vers lequel elle tendait.
Il y a des dispositifs, mais tous ne sont pas «obligés». C’est-à-dire que nous recevons certains textes qui, selon nous, ne doivent plus donner lieu à un échange dramaturgique, parce qu’ils nous semblent suffisamment construits, avec des personnages campés, des trajectoires dramaturgiques effectives. L’idée, ensuite, c’est d’entendre le texte. Et pour cela, il y a plusieurs façons de faire : soit des premières écoutes, des lectures, dans lesquelles on réunit une équipe de plateau pour faire entendre le texte. C’est ce que l’on a fait récemment avec un texte de Marine Chartrain que l’on vient de publier, intitulé Lac artificiel. On a confié ce texte à Céleste Germe, car on considérait que le texte aurait la carte officielle, et que Céleste serait opérante et intéressante pour faire entendre le texte. Au début, il s’agissait seulement d’une lecture, et finalement la rencontre entre Céleste et Marine a opéré, nous allons donc monter une production et aller jusqu’au spectacle.
Exactement. Parfois, les auteurs-autrices sont aussi metteurs-euses en scène, c’est le cas par exemple de Charlotte Lagrange dont vous parliez. Dans ce cas, nous proposons à l’autrice de travailler la mise en scène. C’est normal, nous n’allons pas lui prendre son texte et le confier à quelqu’un d’autre. Mais Marine Chartrain n’est pas metteuse en scène. Nous lui avons fait la proposition d’une lecture, nous pourrions nous en tenir là, car l’idée est avant tout de permettre à l’autrice d’entendre son texte, ce qui pourra lui servir à l’avenir, que ce soit pour le retravailler ou pour l’écriture d’autres textes à venir. Si la rencontre opère, on peut développer le projet de scène, c’est-à-dire coproduire le spectacle et faire en sorte qu’il soit présenté dans différents lieux, en plus d’une production en série à Théâtre Ouvert. Il y a donc deux endroits d’écoute : les lectures présentées en festival et les mises en espace qui sont le fruit d’un travail plus long, qui se déroule sur quinze jours entre un auteur-rice, un metteur-euse en scène et un groupe de comédiens-iennes, y compris sortant ou sortis des écoles de théâtre. La fin de notre parcours avec elles et eux, c’est de présenter un des textes qu’ils ont choisis parmi ceux qu’on leur a fait lire, de faire venir un metteur-euse en scène pour travailler, et qu’à l’issue de ces quinze jours, nous fassions entendre le projet au public, pour comprendre la dramaturgie. Parce qu’effectivement, le théâtre c’est de la littérature dramatique, mais c’est aussi de la scène. Et la dramaturgie, on ne l’éprouve finalement que dans le temps et l’espace du plateau. C’est pour cela que le dispositif de Théâtre Ouvert ne dissocie pas le texte et le plateau, même si on est soucieux d’éditer des textes qui, selon nous, peuvent être mis en scène par d’autres, et peuvent être intéressants, y compris pour des élèves comédiens. Il y en a d’ailleurs plusieurs qui passent les concours avec des textes édités par Théâtre Ouvert.
Pour l’instant, on consolide notre ligne, car cela fait seulement deux ans et demi que nous nous sommes installés dans le XXe arrondissement. Nous avons plutôt des retours très positifs, à la fois des artistes, des professionnels, pour lesquels c’est maintenant des rendez-vous de repérage. Ces articulations entre les temps forts, qui permettent de faire entendre des textes à des artistes qui n’ont pas forcément voix au chapitre parce qu’ils débutent, et des spectacles présentés en série semblent pour l’instant bien fonctionner, tant vis-à-vis du public que pour les artistes. On serait ravis de travailler avec plus d’écoles, mais pour l’instant on ne peut pas : comme on les suit pendant toute la durée de leur cursus, avec cinq écoles, nous sommes au complet.
Pour l’instant, on solidifie, on consolide les liens entre ces différentes activités, dans le cadre du budget qu’on a, avec également beaucoup d’ouvertures publiques. Une partie de notre travail est effectivement souterrain, tout le travail d’édition, de relations dramaturgiques, de mise en espace, ce n’est pas forcément montré au public, donc nous incorporons cette dimension-là.
Nous avons tout de même, in fine, trois festivals que l’on développe depuis quelques années : deux festivals sont intégralement liés à ce que l’on développe à Théâtre Ouvert, le « Focus », qui se déroule au mois de novembre, et le « Zoom», qui arrive au printemps. J’avais mis en place ces deux festivals dès le départ, et nous avons ensuite développé une relation avec le festival du « Jamais Lu » de Montréal, qui existe depuis un peu plus de vingt ans maintenant, et qui nous a proposé de faire lire à des dramaturges québécois un certain nombre de textes écrits en France. L’idée est de mettre en confrontation des metteurs-euses en scène québécois-e-s et des auteurs-trices français-e-s. Il y a un appel à texte, puis les Québécois en sélectionnent quatre ; nous faisons ensuite venir des auteur-rices québécois-e-s pour que des Français-e-s les mettent en espace, en miroir. Ce festival dure trois jours, il est vraiment très foisonnant et se termine avec un cabaret. Il est plutôt au mois d’octobre, donc la période de septembre à décembre est souvent très chargée. Au milieu de tout cela, on a en effet des spectacles en série, il y en a trois pour la période.
On ne le décide pas, on a des projets très différents. Je pense notamment à deux projets aux styles différents, qui sont tous deux très ancrés sur la question de l’écologie, et de l’invention d’un « après ». Il y a Le temps des fins, de Guillaume Cayet, qui sera créé à Valence avant de venir à Paris. Son idée, comme il le dit très bien, est de faire en sorte que le « temps des fins » ne soit pas la « fin des temps », il y a donc l’idée d’un futur. Et il y a une « comédie collapsologue », comme elle l’appelle, d’Agathe Charmet. C’est une jeune autrice que l’on aime beaucoup, qui a déjà fait un spectacle qu’elle a mis en scène, et qui en fera un second en janvier prochain, intitulé Nous étions la forêt. Cette thématique est donc très forte cette année, on compte deux spectacles en série autour de l’écologie. Dans les festivals, c’est beaucoup plus mélangé. Je n’ai pour l’instant pas la programmation, nous attendons que les textes soient prêts, que ce soit le bon moment pour les auteur-rices, afin d’arriver au moment où leurs textes sont le plus abouti possible. Ils continueront peut-être parfois à évoluer encore, mais en général c’est assez solide au moment où ils arrivent en festival. Pour cette raison, on essaie de programmer le plus tard possible. Mais pour les spectacles, au contraire, pour permettre aux compagnies de s’organiser, de trouver d’autres producteurs – car on est producteurs ou coproducteurs de tous les spectacles que l’on présente à Théâtre Ouvert –, on s’y prend plus en amont pour permettre aux artistes de s’organiser.