Adjointe Éducation et Famille à la Mairie d’Angers depuis 2014, Caroline Fel est l’interlocutrice vers qui remontent les questions des agents publics. Qu’en est-il des questions de respect des religions individuelles et de la neutralité de l’Etat ? A l’occasion des 120 ans de la loi de 1905, elle répond aux questions de Cult.news.
Je ne peux pas me prononcer sur le personnel de l’Education nationale. En parallèle, du côté des agents de la ville, parmi le personnel d’animation périscolaire, nous avons observé une vraie bascule après les attentats de Charlie Hebdo en 2015. Ce qui était un peu un « gros mot », comme vous le suggérez renvoyait jusque-là à un horizon de référence situé très à droite. Il semble qu’à ce moment-là le mot est revenu au centre d’un propos républicain, beaucoup plus normalisé. Entre 2014, année où j’ai été adjointe à la Famille et à l’Education de la ville d’Angers pour la première fois, à aujourd’hui, l’évolution a été très sensible et très positive. Nous avons d’ailleurs proposé des formations sur ce sujet à de nombreux agents de la direction éducation, pour les « outiller » face aux questions des familles.
Il me semble qu’à force de penser que ça allait sans dire, on a oublié que ça allait mieux en le disant.
En clair : aujourd’hui beaucoup de gens ne sont pas très au clair sur ce qui fonde notre idée française de laïcité, sur l’époque et les réflexions où elle plonge ses racines. Avec les enfants et les familles, j’ai eu de très nombreuses occasions de l’expliquer, quand je fais ce que nous appelons les « visites citoyennes » de la mairie pour les écoles ou lors des mariages. C’est l’occasion d’expliquer depuis quand, et pourquoi on se marie dans les mairies. Et c’est à ce moment là, quand je rappelle que la laïcité est avant tout une liberté, qui a été « inventée » par la Révolution française, contre l’Église catholique essentiellement, que je rencontre le plus de surprises.
Je sens bien qu’aujourd’hui, pour une partie de la population, la laïcité est un autre mot pour qualifier l’islamophobie. Alors qu’en la replaçant dans son contexte historique, on mesure à quel point cette perception est fausse ! Je me souviendrai toujours de cette maman d’une mariée, issue d’une famille musulmane, qui me demandait s’il était possible de faire « une petite prière » à l’issue de la célébration. Je lui ai expliqué que non, que ça n’avait pas sa place dans une mairie et je lui ai donné l’exemple d’un autre mariage où un membre d’une famille très catholique avait demandé s’il pouvait dire un mot de bénédiction, ce que j’avais évidemment décliné aussi. La réaction de stupéfaction de cette maman a été très révélatrice, elle s’est exclamée « Ah bon ! Mais c’est pour tout le monde, alors ?! »
J’ai vraiment mesuré à ce moment là, à quel point la vision moderne et médiatique de la laïcité s’était éloignée de sa réalité historique et de son sens initial.
Je ne peux répondre que pour les écoles, et, en raison du principe de laïcité justement. En primaire, l’interreligieux est essentiellement abordé sous l’angle du respect mutuel et de la compréhension de l’autre. En revanche, beaucoup de travail est fait autour de l’interculturalité, notamment sur l’accueil à l’école et sur les temps périscolaires, de la langue de la maison : le plus important pour nous, c’est que les enfants développent leur langage, leur capacité à imaginer : peu importe dans quelle langue. Le Français viendra ensuite, par l’école. A Angers, presque toutes les nationalités du monde sont présentes, parfois plusieurs dizaines dans une même école : ce travail sur la langue est indispensable si l’on veut donner aux enfants et aux familles le sentiment d’appartenance à la France, donc à ses valeurs, dans le respect de leurs racines. Sans langue commune, pas de nation possible.
visuel (c) Cécile Dorléans