Cannes : « Partir un jour », les magnifiques premiers pas d’Amélie Bonnin et Juliette Armanet

Partir n’est pas abandonner

Cécile Béguin (Juliette Armanet), gagnante de Top Chef, revient dans sa ville natale après l’infarctus de son père. Dans une période de vie incertaine, ce retour va malgré elle lui donner un nouvel élan. Amélie Bonnin met des mots et des chansons sur ce sentiment d’entre-deux : à quoi appartient-on vraiment lorsque l’on est parti-e ? Juliette Armanet incarne avec beaucoup de subtilité ce mouvement perpétuel : avec plein de références à la ville de son enfance, Châteauroux, Amélie Bonnin, mais aussi à La Déferlante, magazine féministe dont elle est la directrice artistique, la réalisatrice invente et dessine sa cartographie de sentiments et d’affects, fait de beaucoup de joie et de mélancolie. 

Le duo Bastien Bouillon – Juliette Armanet fonctionne à merveille : l’inversion de leur rôle après le court métrage donne encore plus de profondeur à leurs personnages. Les parents, Dominique Blanc et François Rollin, incarnent aussi une ténacité tendre, chacun à leur façon. Tous y racontent avec subtilité ce à quoi on s’accroche sans vraiment savoir pourquoi  : un camping-car, un départ prochain, un restaurant. La peur que tout bouge, que tout nous échappe. Car ceux qui sont partis et ceux qui restent sont en réalité fait du même bois et de la même ténacité. Le film ne juge jamais ses personnages, mais, au contraire, nous réconcilie avec ce dont nous avons honte : parce qu’au fond pourquoi choisir, pourquoi partir devrait être un renoncement ? Partir un jour nous réconcilie avec le fait d’être multiple.

Filmer l’incommunicabilité

Mais Partir un jour ne parle pas seulement d’intériorité, il parle également des relations humaines en général : comment continuer à s’aimer – en couple, en famille, entre ami-es –, quand on ne se comprend plus ? Comment se mettre à la place de l’autre sans s’oublier, comment ne pas être égoïste, comment se dire qu’on s’aime ? Et toutes les cuisines du monde ont déjà été le théâtre de ces disputes dans lesquelles personne n’a tort et personne n’a raison, mais où simplement les cris étouffent les je t’aime jamais dits. Malgré tout, au-delà de l’indicible, restent les liens tacites, les madeleines de Proust que le cinéma se chargera de recréer à souhait. Partir un jour raconte aussi cela, les amitiés que l’on laisse intactes en partant et que l’on retrouve indemnes, l’amour inconditionnel, et plus largement nos souvenirs, qui restent ce qui nous raccroche au réel quand plus rien d’autre ne tient la route. 

À cette incommunicabilité, Amélie Bonnin trouve un remède très simple : les chansons populaires des années 2000 que nous connaissons toustes. Elles pallient à tout : de la pudeur des garçons à la sororité des filles, aux regrets adolescents et à ceux des parents. 

Un premier film frais, vivant et prometteur pour un festival, on l’espère, tout aussi prometteur