Cannes, jour 6 : L’élégance de Spike Lee, les années 1980 de Julia Ducourneau et la maternité de Or Sinaï

La femme la plus riche du monde : vous reprendrez bien un peu de Château-Lafitte…

La veille au soir, au milieu de quelques films français un peu poussifs, La femme le plus riche du monde est apparu comme une des bonnes surprises du festival. Si Isabelle Huppert est, évidemment, à la hauteur de son immense talent, on doute parfois un peu de sa capacité à jouer les errances de Mamie Zinzin, alias Liliane Bettencourt. Mais celui qui fait un incroyable show, c’est Laurent Lafitte, dont on se demande comment il arrive à s’inventer à chaque nouveau film : folle (et en pleine construction de Zaza pour La cage aux folles à venir cet automne au Châtelet), impertinent, grossier et pissant dans les plate-bandes. Il donne la folie au film face aux autres excellents acteurs, notamment Raphaël Personnaz en domestique ambigu blond peroxydé, et Marina Foïs en fille coincée à la coiffure impossible. À voir forcément !

Die my love : Lawrence anyway

On attendait le film de Lynne Ramsay, et on avait raison ! À 11h, pour nous, c’était séance de rattrapage, et si beaucoup se sont ennuyés, pas nous. L’histoire de cette femme en pleine dérive suicidaire ne devrait pas figurer dans les premiers prix, mais elle nous happe par sa violence domestique et auto-destructrice. Quant à Jennifer Lawrence, face à un Robert Pattinson largué, et une Sissy Spacek inquiétante comme une Carrie vieillie, elle produit un tour de force impudique et puissant à même de concourir pour le prix d’interprétation. 

La Mama d’Or Sinaï

À 13h00, au Palais, nous rattrapions aussi le premier long métrage d’Or Sinaï, Mama, avec comme héroïne, qui crève l’écran encore et toujours, Evgenia Dodina. Issu d’un court métrage sur le même sujet, primé à la Cinéfondation, Mama suit le parcours d’une exilée polonaise, venue gagner sa vie comme gouvernante en Israël, et qui rentre dans sa campagne s’occuper de sa grande fille et de son mari. Il s’agit d’un film très documenté, avec une image bleutée superbe et des cadres qui marquent. Tout en nuances, Mama est un écrin où sa comédienne peut briller.

O riso e a faca (le sourire et le couteau) : un moment de beau cinéma dans un monde de brutes

Autant par sa durée (3h30) que par son ambition payante, le film portugais de Pedro Pinho, que nous avons vu à 14h30, s’affirme comme l’un des grands films de l’excellente sélection Un certain regard. Autant épopée que documentaire en terres de néo-colonialisme, le film avance à pas comptés dans la mission de Sérgio (excellent Sérgio Coragem) qui doit produire un rapport sur la construction d’une route en Guinée-Bissau en navigant entre corruption, préoccupations sociales ou environnementales, choc des cultures et pulsions personnelles avec Diara (Cleo Diára) et Guilherme (Jonathan Guilherme). Malgré la durée, on se laisse emmener par la mise en scène comme par l’excellente distribution, et on espère que les spectateurs feront de même lors de sa sortie en salles.

Une interview et une montée des marches vue d’en haut

À 15h00, nous avons eu la chance d’interviewer la réalisatrice Or Sinaï et de retrouver Evgenia Dodina pour une interview où nous avons aussi pu demander si le film – le seul israélien – a été bien accueilli. Alors que la guerre continue dans son pays, et que son tournage n’a pas pu avoir lieu en Ukraine, la réalisatrice nous a parlé de maintenir des films comme des ponts.

À 16h30, nous avons pu voir le 2ᵉ long métrage du Colombien Simón Mesa Soto, Un Poeta, qui suit un vieux garçon qui fait des vers mais n’est pas mûr. Un film qui nous a laissés froid•es.

À 18h00, nous commencions l’ascension du Bar Campari pour aller voir (et filmer, depuis son décorum rouge, son élégance et ses larges vitres penchées, le red carpet. Nous avons suivi avec hâte Rio, qui ne respectait pas le nouveau dress code, et adoré voir l’équipe du film de Spike Lee – assortie aux couleurs de Campari, par hasard – monter les marches avec deux beaux hommes : Denzel Washington et Asap Rocky. Mais nous avons attendu « Riri » en vain !

Alpha, ça passe ou ça casse ?

À 22h avait lieu la projection d’Alpha, de Julia Ducourneau, de retour en compétition après sa palme d’or en 2021 pour Titane. Revisitant les années 1980, le film a créé un climat électrique : du côté de la projection officielle, la bande se serait arrêtée, du côté de la salle presse, les images et la musique forte d’Alpha ont mis l’ensemble de l’audience très mal à l’aise. Si le film ne semble pas tout à fait terminé et s’il divise, l’effet physique est là, comme dans Grave et Titane.

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