En cette deuxième journée de compétition, c’est avec l’impression d’être là depuis dix jours que nous avons commencé un jeudi cannois riche et ensoleillé.
À 8h30 exactement, nous avons pu rattraper dans la salle Agnès Varda, glacée par l’air conditionné, le chef d’œuvre de Sergei Losznitsa. Inspiré du roman d’un scientifique assassiné par la Russie stalinienne, Les deux procureurs installe dans une image froide la mise en place de la machine infernale. Plans fixes dans une prison de province, dialogues au cordeau… Alors que nous connaissons par cœur depuis Z de Costa Gavras (1969) les pratiques du NKVD au cinéma, le réalisateur ukrainien met tout l’art qu’il a déployé dans ses documentaires pour nous saisir entièrement. Son univers carcéral, qui est un monde bleu délavé et exclusivement masculin, laisse apparaître, effrités mais inflexibles, les espoirs passés des lendemains qui devaient chanter. Une palme d’interprétation, nous l’espérons pour le magistral acteur principal, Alexandre Kouznetsov, révélé dans Leto de Kirill Serebrennikov et star de la série Better than us.
Saviez-vous que l’on peut nager sur la Croisette ? Alors qu’il faisait bien chaud en fin de matinée, nous avons demandé la permission de nous jeter à l’eau. Tout le long de la Croisette, quand vous atteignez la dune, entre deux plages privées vibrant aux rythmes des meetings des pros et des interview, vous pouvez plonger. Un entracte tout simplement divin.
La journée commençait aussi – et toujours sous un grand soleil – à la Quinzaine, pour découvrir le premier film de Louise Hémon, L’engloutie. Poétique, à la hauteur de son titre, on a quitté ce soleil de la côte, un petit temps, pour la froideur de l’hiver des Alpes. La réalisatrice, qui avait auparavant dirigé un documentaire d’archives sur Anni Conti, continue d’explorer un univers hostile, mettant ses personnages à l’épreuve, à la fois physique et psychologique. Inspirée d’histoires familiales et de légendes, Louise Hémon tourmente son héroïne : professeure cartésienne de la fin du XIXe devenant institutrice dans un petit village de montagne où règnent les légendes et la magie. Sans donner de réponse, la réalisatrice interroge dans une atmosphère mystique notre rapport à la vérité, au désir et à l’autre.
À 14h, nous sommes partis à la découverte d’un nouvel univers. Brand new Lanscape (ou Des Fleurs pour Tokyo en français) est le premier film d’un jeune réalisateur japonais surdoué, Danzuka Yuiga, qui met en scène un père architecte-paysagiste et ses deux enfants, dans le quartier mouvant de Shibuya. Musique et urbanisme se mêlent à un vrai sens du mélodrame incrusté de fantômes dans ce film qui fait évidemment penser à Kore-Eda et qui est bluffant de maîtrise.
Lire notre critique et notre interview.
En début d’après-midi, en salle Debussy, on pouvait,retrouver dans la sélection d’Un certain regard, un film super-ultra queer qui mêle, dans les années 80, en univers chilien hostile, des personnages aussi pathétiques que flamboyants et une parabole sur une « mystérieuse maladie qui touche les mecs qui s’enculent ».
C’est l’histoire d’une famille « choisie » qui cache ses malheurs sous quelques pots de maquillage et nous emporte avec délicatesse grâce à la séduction des comédiens et à la douceur qui effleure sous la violence. On se demandait qui pouvait succéder aux déjantées Reines du drame (d’Alexis Langlois) de l’année dernière et on a trouvé.
En compétition, Dominik Moll, le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien, du sensationnel La Nuit du 12, et de Lemming, livre un thriller naturaliste et tendu sur les rouages de l’État de droit, porté par une Léa Drucker exceptionnelle en enquêtrice de l’IGPN. Sur fond de manifestations des gilets jaunes en 2018, le film s’écarte des clichés pour suivre l’investigation minutieuse d’une bavure policière commise par des agents en civil. Entre corridors administratifs et scènes de vie quotidienne saisies avec réalisme, Dominik Moll dresse le portrait d’une femme forte, lucide et habitée par le doute, qui œuvre envers et contre tous les bâtons qui se glissent dans ses roues pour préserver l’État de Droit. Un film fort applaudi par la presse lors de la projection.
À 19h, l’équipe du film Brand New Landscape était réunie pour célébrer la projection du film à la Quinzaine des cinéastes. C’était l’occasion de découvrir un très chouette bar à vin, Maison Grenache, niché au creux des Halles de Cannes, et d’interviewer, grâce à sa merveilleuse traductrice, le jeune réalisateur japonais, Danzuka Yuiga.
À 21h00, certaines plumes de la rédaction se pressaient dans le bain de foule qui présidait à l’entrée mouvementée à l’ouverture de la plage Magnum. Au programme et un peu dans le désordre : des glaces préparées à la minute, du champagne, des cocktails, un dancefloor, un set de Lucky Love, un photocall pour toutes et tous, et une chanson de la très annoncée Charlie XCX… Une vraie fête cannoise, intemporelle et où l’on peut vite passer toute la nuit.