Avec Les Deux Procureurs, en compétition officielle au 78e Festival de Cannes, le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa revient à la fiction. Il passe par le film en costumes pour revenir aux sources du régime totalitaire soviétique. Une histoire qu’on pensait connaître par cœur et qu’il renouvelle avec maîtrise.
Adapté d’une nouvelle du physicien soviétique Georgy Demidov, arrêté en 1938 et interné au goulag pendant quatorze ans, Les deux procureurs nous propulse, en 1937, dans une prison de Briansk. Un jeune procureur vient d’être nommé et, selon le droit soviétique, répond à une lettre d’un détenu politique qui demande à le voir. Ce courrier, écrit sur du carton avec son sang est le seul qui est parvenu à quitter une geôle où l’on torture pour faire avouer et dénoncer des crimes qui n’existent pas, sinon pour « purger » les anciens cadres du parti. Patient et idéaliste, le jeune procureur mène un travail qui le conduira à rencontrer son grand supérieur hiérarchique, à Moscou…
Connu pour ses documentaires puissants (Maïdan, Babi Yar) Loznitsa revient à la fiction qu’il maîtrise également parfaitement (il nous avait bouleversé à Cannes en 2012 avec Dans la brume), Sergei Lozsnitsa décrit parfaitement la machine infernale qui a serré ses mâchoires sur le peuple. Plans fixes dans cette prison de province, lenteur maîtrisée, visages expressifs à a Tarkovski et dialogues au cordeau, le film, qui pourrait à chaque instant devenir long et bavard, est un pur chef d’œuvre. Alors que nous connaissons par cœur les rouage des purges, de l’autocritique et de la torture, au moins depuis Z de Costa Gavras (1969) le réalisateur ukrainien met tout l’art qu’il a déployé dans ses documentaires pour nous saisir entièrement et nous bouleverser. Son univers carcéral est un monde bleu délavé et exclusivement masculin. Ses plans fixes aménagés et sa lenteur maîtrisée laissent apparaître, effrités mais inflexibles les espoirs passés de lendemains qui devaient chanter.
Alexandre Kouznetsov, révélé dans Leto de Kirill Serebrennikov et star de la série Better than us incarne avec intensité ce jeune procureur membre du parti bolchévique qui travaille avec intégrité. En nous proposant de revisiter l’Histoire dans ses couloirs les plus administratifs, Sergei Loznitsa revient aux origines du régime totalitaire stalinien qui a marqué tout le bloc soviétique. Sa manière d’interroger l’Histoire avec sa caméra aux mouvements géométriques et sa photo sépia nous permet de prendre du recul et de réfléchir à ce qui nous retient avec ferveur dans la démocratie, mais aussi à la brutalisation toute spécifique qui a eu lieu en Europe de l’Est. Un chef d’œuvre indispensable qui aura au moins un prix, peut-être pour l’interprétation…
Les Deux Procureurs (Two Prosecutors), de Sergei Loznitsa, avec Aleksandr Kuznetsov, Alexander Filippenko, Anatoli Beliy, Andris Keišs, Vytautas Kaniušonis, Ukraine / Allemagne / Pays-Bas / France, 2025, 2h05 Compétition officielle – Festival de Cannes 2025, Sortie française prévue le 24 septembre 2025.
Visuel : Pyramide