Pour un Ministère de la Culture constamment tiraillé entre la promotion de la création et la préservation du patrimoine existant, c’est au moins un quasi-match nul qui s’est joué alors que Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, a fait par ailleurs des coupes de 10 milliards d’euros dans les dépenses publiques prévues en 2024.
Pour le secteur, déjà assommé par le départ de Rima Abdul-Malak et l’arrivée surprise de
Rachida Dati qui n’a jamais exprimé une sensibilité particulière pour la culture, c’est un nouveau coup de massue et une nouvelle interrogation sur sa pérennité.
Dans le secteur de la création, les 95,9 millions d’euros en moins, ce sont autant de projets qui se terminent, de nouvelles créations qui sont arrêtées en cours de route ou qui ne démarreront jamais.
Cela fait suite à un tarissement lent, mais permanent, des financements, le tout à une époque où les frais fixes augmentent : énergie, prestataires externes, salaires – ce qui était nécessaire dans un secteur où les salaires ne sont pas attractifs.
Et même quand les subventions se maintiennent, celles-ci correspondent de fait à une baisse réelle de 25% au vu de l’augmentation des frais fixes et de la résurgence de l’inflation post-covid.
Or, au niveau local, la culture est un des premiers secteurs où l’on coupe car considéré comme «non essentiel».
Récemment, Stéphane Braunschweig a fait état de sa décision de ne pas candidater à un troisième mandat au Théâtre de l’Odéon-Europe, pourtant un des théâtres les plus prestigieux de France. Comme il l’explique dans une interview au journal Le Monde, cela fait suite au constat de l’absence de budget de création. En quelques années, la marge de manœuvre dédiée à la création est passée de 3 millions d’euros à zéro. Dans ces conditions, explique l’artiste et metteur en scène, impossible de créer et il faudra trouver au théâtre des solutions pour ne pas fermer pendant plus d’un mois en octobre. Cet exemple, emblématique, cache d’autres inquiétudes et questionnements dans des théâtres et scènes moins prestigieux. Et pourtant, on constate une baisse du nombre de candidatures : le métier de directeur de théâtre n’attire plus.
Alors, comment produire sans budget ? Comment valoriser le répertoire ? Comment diffuser mieux ?
Ces questions se posent avec une acuité nouvelle avec la baisse annoncée des crédits en 2024.
La coupe dans le secteur du patrimoine pose, elle aussi, question : le patrimoine français ne se porte pas bien, parce qu’il vieillit et parce qu’il a longtemps été sous-financé. Il faut environ 400 millions d’euros par an pour le préserver, or entre 2011 et 2022, les budgets alloués avoisinaient les 300 millions d’euros, conduisant à des retards de chantiers qui se paient aujourd’hui. En 2022, le budget fut reporté à 430 millions d’euros, ce qui n’a pas suffi à rattraper le retard pris.
Cette nouvelle baisse inquiète alors que les budgets vont principalement aux lieux les plus connus, les plus gros : tout le monde a en tête le chantier de Notre-Dame de Paris (840 millions d’euros).
Alors, que faire du patrimoine moins important ? Faut-il tout préserver ? S’autoriser à détruire des sites qui ne sont pas remarquables ? La France depuis plusieurs décennies a mené une politique de préservation avec un pouvoir très important donné aux architectes des bâtiments de France, qui règnent en maîtres absolus sur les chantiers. Comment continuer cette politique avec moins d’argent ? Il est grand temps d’interroger collectivement ce projet général et de lui donner une orientation claire – faute de quoi, la France sera obligée de brader ses symboles régaliens, comme ce fut déjà fait avec l’Hôtel de la Marine, joyau de la Place de la Concorde, qui accueille pour 20 ans une exposition de la collection d’art Al-Thani (famille régnante du Qatar) en contrepartie de 20 millions d’euros.
L’annonce récente de la création d’un fonds de dotation dédié au patrimoine français et financé par l’Arabie Saoudite en contrepartie du travail de valorisation du site archéologique d’Al-Ula laisse penser que la France ne sait plus trouver de solutions en interne à ses problèmes de financement.