Le film Bardot devait être une célébration pour les 90 ans de l’actrice iconique, il devient un adieu. C’est presque normal : BB n’a jamais fait ce qu’on attendait d’elle. Libre, prête à tout perdre parce qu’elle ne voulait plus rien y gagner, elle s’est retirée du cinéma il y a 50 ans et a consacré sa vie à défendre des causes qu’elle trouvait juste. Comme il en va souvent avec les légendes, le romanesque s’acharne à traquer la vie, jusqu’à sa dernière scène. Timing troublant, elle disparaît à peine 3 semaines après la sortie de ce film qui incarne ses ultimes images, comme nous le confie Nicolas Bary, producteur du film. Sa voix, son humanité. Peut-être aussi son dernier pardon.
Votre film devait être une célébration. Il devient un ultime hommage. Comment vit-on un tel renversement?
Ce qui s’est passé est très étonnant. Le film était pensé pour accompagner ses 90 ans. C’est un travail de 4 ans qui a pris du retard. Il a été sélectionné à Cannes cette année, fixé au calendrier de décembre… et Bardot disparaît trois semaines après la sortie. C’est comme si sa légende décidait encore elle-même de sa mise en scène.
On dit souvent que Bardot ne cherchait pas la lumière, qu’elle la subissait presque. Ce paradoxe se retrouve-t-il dans votre film ?
Oui. Elle n’a pas vu le film — trop affaiblie depuis quelques temps — mais en a reçu des échos qui l’ont touchée et elle en était heureuse. Bardot était traumatisée par les foules, les paparazzis, et des sensations d’emprisonnement, d’asphyxie. Lors d’une de ses dernières apparitions à Cannes avec son mari Gunter Sachs, elle avait failli être littérallement étouffée par la foule qui l’attendait. Elle se sentait entourée mais terriblement seule à la fois. Elle disait elle-même que faire une interview, c’était du travail. Pour le film, nous avons organisé deux longues sessions. Au départ, cela ne devait être que sonore, puis elle a accepté d’être filmée. Il a fallu inventer une présence discrète: quelques plans pudiques, une main sur un chat, un geste vers un cheval. Rien de voyeur, seulement de la tendresse.
Il y a 50 ans, elle décidait d’arrêter sa carrière au cinéma, alors qu’elle était au plus haut . Comme gagne-t-on la confiance d’une femme qui ne veut plus qu’on la regarde ?
Par un lien humain, d’abord. Et par une proposition claire : reverser une partie des recettes à la Fondation Bardot. Elle aimait la sincérité, pas les discours. Elle savait dire oui quand le sens l’emportait sur le spectacle.
Vous touchez dans le film à une part délicate : sa colère, ses excès, son image parfois abîmée. Comment l’avez-vous abordé ?
Avec douceur. Cette femme s’est parfois laissée emporter par ses émotions. Dans le film , elle demande pardon pour ses propos excessifs, déplacés. Elle a fait des erreurs de prise de parole. On découvre une âme blessée par l’humanité, devenue plus misanthrope qu’idéologue. Sa bataille n’était pas contre des peuples : elle était contre la cruauté, l’indifférence pour la souffrance, la bêtise, l’abattage des animaux. Elle s’est parfois trompée. Il y a chez elle un mélange étrange de lucidité et d’enfance, de maturité dans certaines de ses décisions, mais également d’immaturité émotionnelle.
Est-ce la fin d’une époque ?
Oui, sans doute. Ces icônes qui rayonnent 50 ans après avoir quitté la scène, ces auras qui s’inscrivent dans la durée, n’existent plus. Aujourd’hui, la célébrité est rapide, beaucoup à travers l’image. Il y a une accélération de la vitesse avec laquelle les gens peuvent devenir des stars mais paradoxalement, cela peut disparaître aussi vite. Bardot, comme Monroe, a traversé le temps parce qu’elle a incarné autre chose : une culture, une esthétique, une liberté, une insolence. Et ce retrait du monde depuis si longtemps rend sa disparition encore plus étrange : elle était déjà absente en tant qu’actrice, et pourtant toujours incroyablement présente en tant qu’icône.
S’il fallait garder une image d’elle ?
L’enfance. C’est ce qui m’a guidé tout au long du film. Une enfance idéaliste abîmée, mais tenace, qu’elle a continué à chercher à travers l’amour inconditionnel des animaux. Même la musique du film est née de là : le compositeur du film, Laurent Perez-Delmar, a commencé par un thème très doux, presque nostalgique, comme un refuge contre la violence du monde. Bardot aura vécu comme cela : debout face aux hommes, mais toujours fidèle à l’enfant intérieur qu’elle refusait d’abandonner.
Bardot, réalisé par Alain Berliner et Elora Thevenet, produit par Nicolas Bary et Elora Thevenet.
Visuel : Affiche du film