Israël pourra, s’il le souhaite, participer à l’édition 2026 de l’Eurovision de la chanson à Vienne, conformément au vote des membres de l’Union européenne de radio-télévision. En réaction, plusieurs pays européens, dont l’Espagne et les Pays-Bas, ont décidé de boycotter le concours. La France, elle, a maintenu son soutien à l’État hébreu.
Jeudi 4 décembre dernier, « une large majorité » des membres de l’Union européenne de radio-télévision (UER), l’association organisatrice de l’Eurovision, ont estimé qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la question de la participation d’Israël à l’Eurovision. Vraiment ? Lors de l’assemblée générale, qui s’est tenue à Genève, les diffuseurs ont également affirmé apporter des modifications au télécrochet visant à «renforcer la confiance, la transparence et la neutralité de l’événement». Du très flou, donc. Résultat : Israël pourra donc être du concours annuel de la chanson.
Cet état de fait a eu le don de déclencher instantanément le boycott de plusieurs pays européens du concours, parmi lesquels on peut compter l’Espagne, les Pays-Bas, l’Irlande ou la Slovénie. Depuis longtemps déjà, la présence de l’État hébreu au concours est contestée, mais encore plus depuis l’année dernière, en raison de la violente guerre menée à Gaza en réponse au massacre du 7 octobre, orchestré par le Hamas, mais aussi de controverses autour du soutien public massif des candidats israéliens lors des deux dernières éditions. Alfonso Morales, secrétaire général de la RTVE, chaîne de télévision publique espagnole, a affirmé dans un communiqué en affirmant que : «La situation à Gaza, malgré le cessez-le-feu et l’approbation du processus de paix, ainsi que l’utilisation du concours à des fins politiques par Israël, rendent de plus en plus difficile le maintien de l’Eurovision en tant qu’événement culturel neutre.»
Pour rappel, l’année dernière, la candidate israélienne était Yuval Raphael, une rescapée du pogrom lors du festival Nova, le 7 octobre 2023, qui a fait 370 morts sur place, puis 848 autres dans les attaques que les terroristes ont poursuivies dans les appartements des maisons et kibboutz environnants, auxquelles se sont ajoutés la prise de 251 otages, ce qui a suscité une nouvelle escalade de violence dans le conflit israélo-palestinien menant à la désastreuse situation actuelle à Gaza. Blessé durant l’assaut, Yuval Raphaël disait voir en sa participation à l’Eurovision un symbole pour son pays. Difficile, effectivement, de ne pas y voir un choix éminemment politique. À l’époque, d’anciens candidats de l’Eurovision, dont La Zarra, avaient signé une tribune pour appeler au boycott d’Israël. Pour les résultats que l’on connait.
Dans le même genre, l’artiste Nemo, gagnant de l’édition 2024, a décidé de rendre son trophée, estimant que «la participation continue d’Israël montre un conflit évident entre les idéaux» prônés par le concours «et les décisions prises» par ses dirigeants. La situation est épineuse, d’autant plus que d’autres boycotts pourraient être annoncés, comme celui du diffuseur islandais RUV, qui a annoncé ne pas y participer mercredi dernier. Mais les diffuseurs ont peu de jours pour se décider, la liste finale des participants devant être présentée «avant Noël», selon l’UER. Pour le 70ᵉ anniversaire du concours, qui se tiendra en mai 2026 à Vienne, ça la fout mal.
L’événement, rappelons-le, n’est ni futile, ni dérisoire : à l’instar des grandes compétitions sportives, les concours de chants retransmis en direct dans des dizaines et des dizaines de pays pour des millions de spectateurs ont acquis un impact géopolitique global indéniable. À cet endroit, la structure associative de l’UER présente une caractéristique fondamentale : les gouvernements ne sont qu’indirectement concernés par le concours Eurovision. Les décisions artistiques, organisationnelles et éditoriales relèvent de la responsabilité des diffuseurs publics membres, créant ainsi une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir public. Autonomie certes relative : en matière de boycott, les chaînes sont le plus souvent alignées sur les positions de leurs gouvernements respectifs, et pour cause, elles sont, pour la plupart, publiques et sont intrinsèquement liées à l’appareil d’État.
Dans ce cadre, la France a réaffirmé son soutien à la participation d’Israël, par l’entremise de son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot. Il a affirmé que « jamais la France ne s’engagera dans la voie du boycott d’un peuple, de ses artistes ou de ses intellectuels. Tout s’y oppose dans l’âme et la tradition de notre pays, celle de l’humanisme des Lumières : par la culture, chacun apprend à comprendre l’autre et se retrouve dans ce qu’il y a de plus universel en lui, son humanité. Y a-t-il meilleur moyen de cultiver la paix ?». Rien que ça. Dans la foulée, une porte-parole de France Télévisions, interrogée par l’agence France-Presse, a réitéré le soutien du groupe à la participation de la chaîne israélienne KAN à l’événement. Tout sauf une surprise, donc.
Certes, l’Eurovision n’est pas un concours européen au sens où il serait lié spécifiquement à l’Union européenne et ses 27 États membres. Du haut de ses 35 participants, il accueille des pays membres de l’OTAN, des territoires aspirant à l’intégration dans l’Union européenne, des pays riverains de la Méditerranée ou d’anciennes forces du bloc soviétique. Néanmoins, difficile de nier que le concours de l’Eurovision participe au soft power de l’UE et a une vision européenne de la culture : les participations à l’Eurovision permettent souvent de prouver quelques accointances avec les réquisits d’adhésion à l’UE.
L’Eurovision est l’un des plus vieux programmes culturels de l’ère télévisuelle. Né en 1956 en écho aux visées pacificatrices du désormais septentenaire Conseil de l’Europe, le concours n’en est pas moins un symbole qui contribue à rendre l’Europe attractive. À ce titre, les divergences de point de vue au sein de pays membres de l’Union européenne vis-à-vis du boycott d’Israël traduisent une fragmentation politique forte et donnent une image écornée de la solidarité censée lier les pays de l’Union. Alors, plutôt que de revenir sur les échanges légèrement lassants et éculés de ceux qui partagent ou exècrent le principe du boycott, penchons-nous sur cette question : à quand une rupture européenne, après l’union ?
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