Billie Eilish, une voix de fer dans une mélodie de velours

Dès les premières secondes, quelques notes impriment la mélodie de ce troisième album, et une voix. Billie Eilish murmure « Fell in love for the first time », de l’autre côté du casque, le coup de foudre – s’il n’avait pas déjà frappé – est instantané. Hit me hard and soft est une pièce musicale magistrale comme la jeune femme sait les bâtir. Picorable, l’album se déguste savoureusement dans son intégralité, comme un long morceau de 44 min, un film, une balade. 

Carnets de bord musical

Ce qui fascine à la première écoute, c’est la douceur qui règne sur ces dix nouveaux morceaux qui mixent pop, folk, bossa, électro, et même symphonique. Billie Eilish distille sa voix sous toutes ses teintes et égrène ses thématiques fortes, l’amour et la tristesse, avec toute la joie et la lumière qui la caractérise. Elle nous prend par la main et nous promène oniriquement, de pistes de danse en ballades, dans le dédale des émotions universelles des vieux enfants des années 2020. Dès « Skinny », elle se livre sur un amour, comme le sont souvent les premiers, intenses et maladroits, blessant autant qu’ils peuvent être excitants. 

Celle qui n’aura 23 ans qu’en décembre sert sur un plateau des mélodies électro-pop pour se déhancher de manière lancinante, et briser une nouvelle fois tous les codes. Avec « Lunch », elle affirme, avec la malice d’un parlé cash-trash, son désir pour une femme qu’elle dégusterait bien pour le déjeuner. Dans une véritable partie de séduction, Billie joue carte sur table et sort tous ses atouts. Les cordes et cuivres symphoniques nous charment, les bits nous hypnotisent et son phrasé, tout en rupture, nous ensorcelle. En deux titres, la couleur est annoncée, de nos douces faiblesses de nos expériences émergent nos forces.

(Encore) plus heureuse que jamais

Mots vaporeux ou déliés, la chanteuse performe de sa voix, porte notre imaginaire dans les films de son esprit. Elle est « Chihiro », perdue dans les mécaniques tunneliques de la chimie amoureuse, autant que Yubaba, sorcière des âmes. Elle s’interroge sur les amours à pleurs des « oiseaux d’une même plume » que l’on aimerait voir rester ensemble. Elle émerveille nos oreilles, surprises plusieurs fois dans un seul et même morceau, par des renouvellements mélodiques maniant les silences et les reprises, libre comme les « wildflower », les fleurs sauvages.  Sur les routes des expériences, elle apprend, et trace sa route. 

Cet album concentre l’étendue de son talent et de ses inspirations. Elle, qui sait si bien murmurer, prouve que son spectre vocal peut parfaitement s’élargir et se laisser envahir de grave pour porter des sujets ténébreux. Le timbre mélodique commun à tous les titres se laisse débusquer et porte le projet au rang d’album qui fera date. Quelques mots d’amour, prononcés en français de sa voix éraillée, et elle est définitivement « L’amour de {notre} vie », artiste complète qui peut se permettre de déambuler entre les genres et se confier, tous ses maux, on les connaît. 

A la fin du dernier titre, elle murmure « But when can I hear the next one ? / Mais quand pourrais-je entendre la prochaine ? ». En attendant la suite, on laisse l’album boucler, totalement enivré.