Beyoncé, une queen résolument country

 2024 ou la country era

Ces premières semaines de 2024 ont annoncé la tendance. Si 2023 a été sous le signe du voguing et de la culture club, cette année serait celle de la country. Lil Nas X en a fait le prélude en 2019, bouleversant le monde de la musique avec son « Old Town Road », puis pour la Fashion Week, Pharrell Williams lui a déroulé le tapis rouge : la country était le thème de son défilé automne/hiver 2024 pour Louis Vuitton. La country girl, Taylor Swift, n’a quant à elle jamais été aussi influente, au point d’être crainte par les Républicains en cette année d’élection présidentielle américaine. La princesse Lana Del Rey a annoncé, quelques jours avant les Grammy Awards, qu’elle livrerait un album country en septembre. Et lundi matin, beaucoup se sont réveillés au son des deux nouveaux morceaux, country donc, de Beyoncé. 

La jeune femme, étudiée à l’ENS, est un véritable phénomène musical avec pas moins de douze albums en solo, vendus en 2023 à plus de 200 millions d’exemplaires, tous teintés d’influences musicales différentes, de la house à la country, en passant par le funk, la pop, la soul, le RnB ou encore la trap. Très influente, elle a encore « cassé internet » dans la nuit du dimanche 11 au lundi 12 février, en dévoilant, dans un spot publicitaire diffusé à la mi-temps du Super Bowl, son nouveau projet. Cette finale du championnat de football américain est un rendez-vous capital aux États-Unis, regardé par des millions de personnes chaque année, une audience colossale qui est très convoitée. Chaque année, un artiste fait un show, mais cette fois, la star Usher s’est littéralement fait voler la vedette par la Queen. 

Renaissance Act II 

En 2022, Beyoncé a annoncé son projet Renaissance, une œuvre en trois actes dont le premier opus est sorti fin juillet 2022 avec l’album Renaissance Act I. Dans cet opus, elle rendait hommage à la culture LGBT noir-américaine dans une ambiance de club house nourrit de la culture du voguing. Avec l’annonce faite en début de semaine, elle a donc présenté la suite de sa mue : le 29 mars sortira l’album Renaissance Act II. La Texane de 42 ans semble renouer avec son enfance et rendre hommage à une frange oubliée de l’histoire américaine : les cowboys noir-américains. 

Le spot publicitaire diffusé est une succession de sketchs dans lequel Queen B multiplie les tentatives pour « casser internet » sans succès. Dans le dernier, elle mime une campagne présidentielle pour BOTUS (Beyoncé of the United States) et proclame : « OK, ils sont prêts. Lancez la nouvelle musique ». Les premières secondes du clip de « Texas Hold ’em » démarre puis sur un écran noir « act ii – 3.29 ». Dans la foulée les titres « Texas Hold ’em » et « 16 Carriages » sont diffusés dans le stade, mis en ligne, et en moins de dix heures, ils comptabilisent plus de 600 000 vues.

Le titre « Texas Hold ’em », rythmé et solaire, énumère les symboles du genre : la Lexus et le whisky, les éperons et les bottes, la tornade et la danse. Avec les banjos et les guitares, elle nous plonge au milieu du saloon, piétinement de grosses caisses pop country et western agitation de cymbalettes à l’appui. Accoudée au bar, elle nous murmure dans la ballade « 16 Carriages », des confidences sur la précocité de sa carrière, sur les souvenirs de ces quinze ans, le tout dans une ambiance intense, percussive et métallique.

Un album country ? Pas si étonnant 

Depuis quelques jours, outre l’effet de manche de l’annonce, la planète musique s’agite sur le (soi-disant) tournant pris par la Queen. Or, si l’on y regarde de plus près, cette trajectoire n’est pas si étonnante. Son parcours s’est toujours largement imprégné d’influences musicales diverses, la culture country connaît un retour de hype, et surtout, ce n’est pas la première fois que l’artiste use de ces sonorités. En 2016, son sixième album Lemonade flirtait déjà avec ce genre apparu dans le sud des États-Unis au cours des années 1920 dans la classe ouvrière. Le morceau « Daddy Lessons » notamment s’ouvrait sur le mot « Texas », explorait quelques souvenirs d’enfance, et mettait à l’honneur claquement de bottes, banjos et harmonicas. D’une certaine manière, avec ces deux nouveaux morceaux, elle perpétue ses expérimentations et s’ouvre un peu plus à ses fans. 

On retrouve aussi cette démarche dans ses différents documentaires où elle évoque son enfance au Texas et son rapport aux sonorités country et blues qui l’ont bercée. Avec ce nouveau projet, il semblerait que Beyoncé poursuive aussi ses combats pour la cause des Afro-descendants : en effet, si dans l’imaginaire collectif, le cowboy fort et indépendant est blanc, il y en avait de nombreux noirs. De plus, le genre découle du blues noir américain. Le style country devient un genre blanc conservateur dans l’entre-deux-guerres : les maisons de disques séparent la hillbilly music en version blanche et « race music », son équivalant en version noire. Il paraît, à ce titre, intéressant de signaler deux choses. Dans le morceau « 16 Carriages », le célèbre musicien noir Robert Randolph joue du lapsteel, un instrument à cordes conçu par des esclaves originaires d’Afrique du Sud déportés en Amérique. Et, dans les crédits du titre « Texas Hold ‘Em », on retrouve la musicienne Rhiannon Giddens, membre du groupe de country Carolina Chocolate Drops et défenderesse des origines noires du banjo. 

Alors, au-delà d’être la deuxième partie d’un projet, cet album promet d’être un manifeste, ce qui rend les deux titres déjà dévoilés encore plus iconiques ! Comme Lil Nas X, on risque de « remettre [notre] chapeau de cow-boy » (dans un post sur X) et de taper du pied sur la piste de danse.