Vingt ans après le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat, la série documentaire de Netflix, « Bertrand Cantat, de rocker à tueur » revient sur les faits et leur traitement par les médias. Bien sûr, on retombe dans l’effroi, mais d’une part le documentaire a permis de rouvrir l’enquête ; et d’autre part l’on réalise aussi que le regard de nos sociétés a changé depuis lors et que la triste notion de féminicide, ainsi que sa prévention, nous préoccupent comme jamais.
Le 23 juillet 2003, Marie Trintignant, 41 ans, mère de quatre en enfants est sur le tournage du film que sa mère, dédie à la femme de lettres Colette. Elle est à Vilnius, en Lituanie, et Bertrand Cantat, chanteur de groupe Noir Désir, qui est son compagnon depuis la fin de l’année précédente l’a rejointe et ne la quitte pas d’une semelle. Un texto de l’ancien compagnon de l’actrice met le rocker dans une rage folle. 19 coups plus tard, une dizaine d’heures après l’altercation, elle est transportée à l’hôpital inconsciente, le nez brisé, avec un œdème cérébral. Elle mourra en région parisienne le 30 août. Jugé en Lituanie, Bertrand Cantat est condamné à 8 ans de prison, dont il ne fera que 4. En 2010, c’est son ex-femme Krisztina Rády -qu’il avait quitté alors qu’elle était enceinte, pour Marie Trintignant- qui est retrouvée morte, pendue, dans l’appartement qu’ils ne devaient plus partager… Aucune enquête ne sera menée…
En trois épisodes très calibrés par le modèle Capa, l’on revient sur des faits qui ont pu, à l’époque, nous échapper ; notamment l’appel au secours de Krisztina Rády sur le répondeur de ses parents. Inspiré par l’enquête de Anne-Sophie Jahn (« Bertrand Cantat, enquête sur une omerta », Le Point, 2017) et son livre, le documentaire laisse la parole à des témoins clés : Lio, qui était le seule à voir clair au moment du meurtre, Maître Kiejman (encore vivant au moment du tournage et dont on note la phrase majeure : « Bertrand Cantat dort toujours quand ses femmes meurent ») et Roman Kolinka, le père du premier enfant de Marie Trintignant, absolument limpide. Il donne aussi la parole à des magistrats de l’époque et aux deux journalistes Anne-Sophie Jahn et Michelle Fines, qui témoignent de la manière dont les médias et l’opinion ont traité les morts des deux femmes de Cantat. A travers ces paroles et la prise de recul de ces acteur.ice.s ou figurant.e.s de l’époque, le documentaire démontre combien le regard de nos sociétés a changé sur le féminicide. Nous n’avons entendu que la version de Bertrand Cantat sur la mort de sa compagne. Et pour cause… En espérant que la Justice soit plus tatillonne et sévère aujourd’hui qu’il y a vingt ans quand un illustre inconnu aussi bien qu’une rock star massacre sa compagne.
En effet, les temps ont bien changé. En regardant le documentaire on se rappelle, médusé.e.s, comment les fans et l’industrie du disque soutenaient Cantat, combien aussi les médias ont pris au sérieux la défense de son avocat qui le disait fou amoureux et victime, tiens donc (!) de « crime passionnel » après que le rocker a plaidé l’accident dans sa première audition. Le film met aussi en lumière le rôle tragique de Krisztina Rády dans la libération après 4 ans (!) du chanteur. La mise en perspective des morts des deux femmes a même permis le 24 juillet dernier, la réouverture de l’enquête sur la mort de Krisztina, annoncée par le parquet de Bordeaux le 24 juillet dernier.
visuel(c) Netflix