Quelle mauvaise surprise nous a saisis ce matin en lisant, sur le « mur » de Roberto Alagna, cet « Adieu, ma Béa » rempli de larmes. Car, sans illusion, Béa ne pouvait être que la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon, que nous appelions familièrement Bum entre passionnés d’opéra, et qui avait chanté si souvent une Carmen racée, méridionale, distinguée, une gitane bien à elle dont elle en avait façonné le personnage, avec son talent et sa beauté, la rendant incontournable et inoubliable.
Elle était malade depuis quelque temps déjà, mais nul ne savait que cette saleté allait la cueillir à 61 ans pour nous l’enlever à jamais.
Le bouillant sang espagnol qui faisait l’authenticité de ses incarnations, elle le devait à son père le peintre espagnol Antonio Uria-Monzon.
Née à Agen, elle fait ses études à Bordeaux et découvre l’opéra ; elle en fera sa carrière, mais restera toujours un esprit indépendant et une forte personnalité de l’art lyrique.
Elle est rendue rapidement célèbre grâce à une série impressionnante de Carmen qu’elle chante dans les années quatre-vingt-dix à Paris Bastille (1993 et suivantes), aux Chorégies d’Orange (1998), mais aussi aux Arènes de Vérone (1996), au Palais des Sports de Liège (1995) ou à Buenos Aires (1994) et dans bien d’autres places prestigieuses. Le souvenir de cette très belle jeune femme, brune, élancée, qui donne à la tragédie tout son sens et laisse longtemps dans l’oreille, l’empreinte de son timbre d’une grande profondeur, comme son art de la prosodie française et ce rien d’insolence qui la rendait irrésistible sur scène.
Mais notre BUM ne s’est pas contentée de briller en Carmen. Elle fut aussi dans nos souvenirs émus, salle Favart à l’Opéra-Comique en 1994, une grande Charlotte dans Werther, sensible, à fleur de peau, bouleversante de vérité dans l’expression de ses émotions, et une magnifique Marguerite dans La Damnation de Faust à Bastille en 1997.
Elle a repris fort souvent ces rôles emblématiques avant d’élargir son répertoire abordant courageusement la tessiture de soprano, avec Giulietta dans Les Contes d’Hoffmann, en 2000 à Orange ou avec le rôle-titre de l’Hérodiade de Massenet à Avignon.
On pourrait citer bien d’autres héroïnes de l’art lyrique à qui elle a prêté sa voix et son talent, de La Favorite (Donizetti) à Eboli dans Don Carlo (Verdi) en passant par sa belle présence dans Berlioz (Béatrice et Bénédict, La mort de Cléopâtre et surtout une Didon des Troyens, qui nous arracha des larmes), ou encore sa participation à la création mondiale d’un opéra oublié, le Fiesque d’Édouard Lalo, en 2006 à Montpellier.
Elle poursuivit sa carrière comme soprano dramatique dans Tosca, Adriana Lecouvreur, Andrea Chénier, ou Mefistofeles sans oublier ses premières amours et sa flamboyante Carmen.
Saluons, avec émotion, les deux derniers rôles où nous avons pu l’entendre : la Comtesse de Sérisy dans Trompe-la-mort de Luca Francesconi, une création mondiale à l’Opéra-Garnier en 2017, puis dans la Gioconda dans la mise en scène d’Olivier Py à la Monnaie de Bruxelles en 2018 (puis à Toulouse), un rôle difficile dont elle se tira avec les honneurs, ancrant une fois encore avec talent son personnage dans la tragédie où elle excellait.
Et nous nous rappellerons des derniers mots de Carmen qu’elle prononçait avec tant de fougue insolente « Jamais Carmen ne cédera/Libre elle est née/Et libre elle mourra. »
Adieu belle artiste !
Visuel : © Cassiana Sarrazin