Bad Bunny, la star du reggaeton, performera à la mi-temps du Super Bowl, prévue le 8 février 2026 au Levi’s Stadium en Californie. Le succès phénoménal de son album DeBI TiRAR MaS FOToS, hommage enjoué et intime à l’île de Porto Rico à l’histoire mouvementée, fait craindre chez certains l’omniprésence de messages politiques.
L’annonce a fait l’effet d’un séisme dans le monde musical et politique. Bad Bunny, l’artiste portoricain qui a fait exploser les charts avec son album DeBI TiRAR MaS FOToS (en abrégé DtMF) en janvier 2025, performera pendant la légendaire mi-temps du Super Bowl le 8 février 2026.
« C’est pour mon peuple, ma culture et notre histoire » s’émeut-il dans un communiqué de la NFL, la ligue nationale de football américain. Celle-ci fait partie du jury de sélection des artistes, avec Roc Nation et Apple Music qui organisent le spectacle, et elle contrôle la scène de cette grande messe musicale et sportive.
Depuis la sortie de son album célébrant la culture portoricaine, Bad Bunny s’attire les foudres des partisans de Trump. « La plupart de ses chansons ne sont même pas en anglais », a par exemple critiqué le militant conservateur américain Robby Starbuck. Ses détracteurs craignent probablement la présence de messages politiques dans ses concerts, à l’image de ceux suggérés par Kendrick Lamar lors de sa propre prestation en février 2025.
Dans son clip du titre « NUEVAYoL » publié en juillet 2025, le drapeau de Porto Rico, Etat libre associé qui fait partie des Etats-Unis, est hissé sur la statue de la liberté. Une manière de rappeler le statut particulier de cette île dont les habitants ont la nationalité américaine, mais ne peuvent pas voter à l’élection présidentielle. Le rappeur latino-américain a aussi mis en scène un faux discours du président Donald Trump. Celui-ci y voue les mérites de l’immigration, l’une des croisades les plus féroces que mène en réalité le Républicain. Tout cela sur une musique dembow, un genre musical dominicain dérivé du reggaeton, venu des Caraïbes, et du dancehall, de Jamaïque.
Avec DtMF, Bad Bunny opère un tour de force. Il parvient à politiser sa musique, en reprenant tous les codes et les sonorités traditionnelles des cultures latino-américaines, tout en la rendant extrêmement populaire et accessible. En seulement treize jours, l’album atteignait 1 milliard de streams sur la plateforme musicale Spotify. Il bat ainsi le record de rapidité pour un artiste masculin.
Issu de la classe populaire avec une père chauffeur routier et une mère institutrice, le petit Benito – son vrai prénom – grandit avec les oreilles stimulées par la salsa et le merengue – genre musical et danse né en République dominicaine. Dans « La Mudanza », issu de DtMF, il se montre reconnaissant envers ses parents : « Benito, fils de Benito, ils l’appelaient « Tito »/[…]c’est lors du déménagement qu’il a rencontré Lysi/ […] Merci, maman, de m’avoir donné naissance ici ». Après avoir quitté la chorale de l’église où sa mère l’emmenait, il découvre vers ses 13 ans l’immense star du reggaeton Daddy Yankee et le chanteur de salsa Héctor Lavoe, tous deux Portoricains. Inspiré aussi par Vico C, rappeur portoricain, Marc Anthony, auteur-interprète américano-portoricain, ou encore Tego Calderon, rappeur de reggaeton, il compose, écrit et interprète dès l’âge de 14 ans.
Dès 2013, il publie des morceaux sur la plateforme Soundcloud avant qu’un DJ le repère sur sa titre sensuel et provocant « Diles », marqué par un rythme lent. Il y rappe d’une voix grave mais encore assez chantée sur les « poses préférées » de la femme qu’il aime. La même année, c’est le morceau « Soy Peor » qui l’installe durablement dans l’histoire du reggaeton.
Il change de label en 2017. Par la suite, il n’évoque plus seulement des histoires d’amour mais pose un regard critique sur les faits sociétaux. Dans « Solo de Mí », il dénonce par exemple les violences domestiques contre les femmes. Son style androgyne et la diversité de ses textes redéfinissent les codes du reggaeton, style encore empreint par des stéréotypes sexistes, réduisant souvent les femmes à des objets.
En chantant systématiquement en espagnol, il parvient aussi à imposer une langue qui concurrence l’anglais, hégémonique aux Etats-Unis. Dans le titre « I like it » de la rappeuse Cardi B, au style trap et salsa et sorti en 2018, Bad Bunny rappe en langue hispanophone. En deux semaines, le tube se place à la première place du prestigieux classement Bibllboard Hot 100.
Encore une preuve de sa consécration : en 2023, il devient le premier chanteur en langue espagnole dont l’album Un verano sin ti est nommé aux prestigieux Grammy Awards, en tant qu’« album de l’année ». En 2020, l’artiste est l’artiste non anglophone le plus écouté sur Spotify.
La star du reggaeton et de la trap latino devient rapidement internationale, mais ne renie pas ses origines. Il y retourne même volontiers le 5 janvier 2025 en sortant l’album DeBI TiRAR MaS FOToS, un hommage à Puerto Rico. Dans son précédent album Un verano sin ti, le titre « El Apagón » évoquait déjà les difficultés constantes de Porto Rico face aux coupures d’électricité mal gérées, à la politique et à la gentrification. Mais dans DtMF, l’ensemble de l’œuvre met à l’honneur les musiciens, l’histoire, la culture colorée et riche de l’île.
En s’entourant d’un historien, Jorell Melendez-Badillo, pour la conception de son nouvel album, Bad Bunny décide d’entremêler intime et politique dans chacun de ces morceaux. Dans « La Mudanza », tout en remerciant ses parents, il dénonce la Ley de la Mordaza, une loi en vigueur de 1948 à 1957 qui a rendu criminel l’affichage du drapeau portoricain, dans le but de réprimer le mouvement indépendantiste. Il célèbre aussi les légendaires tromboniste de salsa Willie Colón et le groupe de reggae Cultura Profética, avec une profusion de sonorités enjouées, brillamment interprétées par les musiciens choisis pour jouer sur l’album.
Cet engagement justifie, selon Jay-Z, co-producteur du spectacle de la mi-temps, cette sélection à la mi-temps de la finale du championnat de football américain : « Ce que fait Bad Bunny pour Porto Rico est vraiment inspirant. On est honorés de l’avoir sur la plus grande scène au monde. » Si les artistes ne sont pas rémunérés pour leur prestation, ils bénéficient d’une visibilité mondiale. La NFL, qui contrôle la scène, refuse souvent les prises de positions politiques de chanteurs mais ceux-ci ne s’y plient pas nécessairement.
Il fait peu de doute que le chanteur de reggaeton utilisera cette plateforme gigantesque pour promouvoir sa culture, face à la politique du président Trump. D’autant que l’annonce surprend car le 10 septembre, il avait expliqué ne pas vouloir donner de concert aux Etats-Unis, dans le cadre de sa tournée mondiale qui débutera en novembre 2025. Il disait craindre des raids anti-immigration lors de ses performances. Pourquoi alors avoir accepté pour le Super Bowl ? Bad Bunny sait forcément l’impact d’une telle scène, rendez-vous culturel par excellence des Américain·es depuis les années 1960. Près de 130 millions de téléspectateurs avaient regardé le match en 2025 selon le cabinet Nielsen. C’était alors la plus grosse audience jamais atteinte aux Etats-Unis.
L’artiste aux 3 Grammy Awards et au aux 9 Latin Grammy Awards, qui s’essaye au cinéma depuis 2022, confirme sa place de nouveau roi du reggaeton. En utilisant son succès, il dynamite l’idée selon laquelle une musique populaire, aujourd’hui encore, devrait être dénuée de réflexion politique.
Capture d’écran du compte Instagram où Bad Bunny annonce qu’il chantera au Super Bowl.