Audrey Ardiet, directrice de La rose des vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, et Thierry Collet, directeur artistique de la Compagnie Le Phalène et artiste associé, nous plongent dans les coulisses de la deuxième édition du festival 100% Magie, qui se tiendra du 25 mars au 5 avril 2025. Entre illusion, mentalisme et détournement du réel, ils nous dévoilent leur vision d’un festival où la magie devient un véritable langage artistique.
Audrey Ardiet : La rose des vents est la Scène nationale de la métropole de Lille, située à Villeneuve d’Ascq, ville nouvelle des années 70. La rose des vents est le premier bâtiment du quartier Hôtel de Ville de Villeneuve d’Ascq, et c’est un lieu qui, dès sa construction en 1974, a été pensé comme une salle de spectacles à fonctions multiples.
C’est donc dans l’ADN de La rose des vents de proposer une programmation pluridisciplinaire, avec une place importante pour le théâtre, un goût prononcé pour la danse, et une curiosité pour la création artistique internationale.
À mon arrivée à la direction il y a deux ans, j’ai souhaité élargir encore les disciplines artistiques accueillies avec une attention portée au théâtre documentaire (en lien avec la programmation de films documentaires projetés dans le cinéma de La rose des vents, Le méliès), le théâtre d’objets, et bien sûr la magie, et ce nouveau festival, le 100% Magie, dont la 2ème édition se tiendra du 25 mars au 5 avril 2025.
Audrey Ardiet : J’ai le sentiment que le regard sur la magie a changé. Si je m’en réfère à ma propre expérience, je n’ai pas du tout senti de « mépris » lorsque j’ai annoncé que je souhaitais mettre en œuvre un festival de magie au sein de La rose des vents. Au contraire, il y a eu immédiatement de la curiosité, en tout cas de la part du public.
Curiosité et enthousiasme partagés de la part des théâtres avec lesquels j’ai le plaisir de collaborer pour cette 2ème édition : la maison de la culture de Tournai, ainsi que le Phénix, la Scène nationale de Valenciennes, avec lequel nous avons le plaisir d’accueillir l’un des fondateurs de la magie nouvelle, Étienne Saglio, et son tout dernier spectacle Vers les métamorphoses.
Thierry Collet : Depuis une bonne dizaine d’années, la magie bouge, se régénère, notamment en s’hybridant avec des disciplines du cirque comme le jonglage, la marionnette ou le théâtre. Cette pluridisciplinarité permet un renouvellement des formes et des répertoires. Dans le même temps, des programmes télévisés de grande audience comme « La France a un incroyable talent » a fait évoluer des formats plus traditionnels comme les numéros en les mettant au goût du jour avec des esthétiques, certes proches du show-business, mais renouvelées, et en privilégiant la virtuosité technique. Bref, ça bouge de tous les côtés et le festival 100% Magie est le reflet de cette effervescence et de cette diversité.
Thierry Collet : Le Nord de la France est, depuis longtemps, une terre de magie. Plusieurs associations de magiciens très dynamiques comme le Nord Magic Club, ou des grandes figures comme Daniel Miraskill à Valenciennes, ont contribué à créer une dynamique qu’on retrouve dans les jeunes générations. La proximité avec la Belgique, très créative ces dernières années, que ce soit en mentalisme avec Kurt Demey ou Luc Apers, ou dans l’innovation technique et la magie visuelle avec Laurent Piron, et l’Angleterre pas très loin, très à la pointe sur le mentalisme et la présence de magiciennes, avec Laura London notamment, font de La rose des vents le carrefour géographique idéal de ces dynamiques.
Audrey Ardiet : J’ajouterai que du côté de La rose des vents, cette connexion transfrontalière avec la Belgique est historique, en particulier avec nos voisins de la maison de la culture de Tournai. C’est la raison pour laquelle, très naturellement, nous avons souhaité avec Anaëlle Kins, la directrice de la maison de la culture de Tournai, programmer un spectacle du 100% Magie à Tournai. Nous aurons donc le plaisir de découvrir le magicien belge Laurent Piron.
De même, concernant la programmation et l’esprit du festival, lorsque j’ai sollicité Thierry pour qu’il devienne mon conseiller en magie et artiste associé de La rose des vents, j’avais aussi à cœur d’imaginer une programmation internationale, qui fait partie des spécificités de La rose des vents. Grâce à la connaissance fine de Thierry des magiciens et magiciennes du monde entier, nous pouvons proposer une diversité de spectacles d’artistes venus de Belgique bien sûr (avec Laurent Piron et Luc Apers), mais aussi d’Allemagne (TANGRAM Kollektiv) d’Espagne (Rúbi Férez) et des États-Unis (Jeanette Andrews).
Thierry Collet : Pendant très longtemps, la magie n’a pas réservé un sort très enviable aux femmes, les cantonnant aux rôles d’assistantes, coupées en morceaux et transpercées. La profession, lentement mais heureusement, se féminise, et le festival a toujours eu à cœur de programmer des magiciennes, pour faire évoluer le regard du public sur les stéréotypes véhiculés par cet art et, qui sait, créer des vocations. C’est l’apport de la pluridisciplinarité qui accélère la féminisation du métier, d’autres formes artistiques comme le théâtre, le cirque ou la marionnette étant plus en avance que la prestidigitation sur les questions de diversité.
Cette année, le festival programme Claire Chastel et Camille Joviado dans le spectacle Les Clairvoyantes. Claire est comédienne, formée au Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris tout en étant magicienne, Camille est autrice et dramaturge ; elles se situent sur des territoires passionnants et contemporains. Leur recherche d’une nouvelle écriture scénique entrelace récits et effets magiques, art de l’actrice et de la manipulatrice.
Audrey Ardiet : Effectivement, la magie ne se limite pas simplement à l’émerveillement ; elle ouvre des portes vers des réflexions plus profondes sur notre monde. Derrière ce terme générique de « magie », il existe une multitude de formes, chacune touchant des domaines aussi variés que la science, la philosophie, voire la politique. Par exemple, l’illusion, qui repose sur des effets d’optique, s’appuie sur des principes scientifiques, tandis que le mentalisme soulève des questions fascinantes sur la manipulation de l’esprit humain. Si l’on pousse la réflexion plus loin, cela touche aussi des enjeux de manipulation à grande échelle, comme celle des masses.
Dans le cadre du festival, nous voulons faire dialoguer ces différentes dimensions et encourager une réflexion critique sur les enjeux contemporains. Les éditions futures du festival 100% Magie seront l’occasion d’approfondir ces sujets en proposant des conférences, des débats, des ateliers… Autant d’espaces d’échange et d’exploration pour le public, mais aussi pour les chercheurs et chercheuses, qui pourront partager leur expertise et enrichir nos réflexions communes. C’est une démarche qui nous enthousiasme, car elle permet de croiser les regards, d’ouvrir des perspectives nouvelles et de nourrir le lien entre l’art magique et les sciences humaines et sociales.
Le festival 100% Magie se déroule du 25 mars au 05 avril 2025
Visuel : ©Célia Bolzoni