« Au-dedans » de Will McPhail : déculpabiliser les vivants

Alter ego

L’idée d’Au-Dedans part d’une frustration simple que nous avons tous déjà ressenti lorsque l’on se demande : « Mais pourquoi je dis ça ? ». Cette frontière étanche entre ce qu’on ressent vraiment, et ce rôle que l’on joue devant les autres, Will McPhail en a eu marre. Son premier roman graphique constitue ainsi la tentative réussie de savoir ce que ça ferait, vraiment, de dire ce que l’on n’arrive pas, pour des raisons obscures, à exprimer. Le personnage principal d’Au-Dedans, incarne dès lors un alter ego pour  l’illustrateur. Selon ses mots : « He looks like me but sadder ». Plus qu’une ressemblance physique, c’est la personnalité même de Nick Moss qui prend source dans son créateur, ce sont ses réflexions, ses déprimes et ses névroses. Tout dans l’écriture de ce roman graphique prend dès lors une tournure profondément intimiste. Tout est vrai, tout a déjà été ressenti, vécu.

Nick Moss, cet Autre réaliste

Mais Nick Moss, s’il entretient un lien étroit avec son créateur, n’en est pas moins un personnage auquel il est possible de s’identifier. En se sondant lui-même, Will McPhail sonde aussi les contradictions de l’époque dans laquelle il s’inscrit. Et de fait. Qui n’a jamais eu un instant de recul, avant d’entrer dans une conversation intime avec quelqu’un, y compris sa propre mère ? Qui ne s’est pas remis en question après un échange un poil plus profond que les autres ? Toute l’intelligence de ce premier roman graphique est de montrer les réactions bizarres, étranges et pourtant fondamentalement collectives dont l’homme fait preuve dès qu’il doit parler de ses sentiments.

Au-dedans s’incarne en plaidoyer pour des relations plus justes, plus authentiques, dans laquelle chacun exprimerait véritablement ce qu’il ressent. Une réflexion d’autant plus pertinente que Will McPhail n’idéalise pas ce souhait. À chaque fois que son personnage entame une réflexion vraie et intime s’ouvre en effet à lui un monde en couleurs, aux éléments fantastiques, un monde de sensibilité, qui n’est pas rose bonbon pour autant. C’est un monde où l’on peut se faire manger par des patates à dents pointues, où l’on doit faire face à une nature dangereuse, menaçante. Voilà donc la morale du livre : celui qui est vrai n’échappe pas forcément au malheur, il est simplement plus vivant.

« The eyes chico. They never lie »

La force d’Au-dedans réside également dans le dessin innocent de Will McPhail. Inspiré par les dessins de Calvin & Hobbes, il porte dans son livre une attention particulière au travail du regard, dans lequel se loge toute l’émotion des personnages. Si ces yeux globuleux, très grands, donnent un aspect surréaliste aux visages, ils deviennent le point central du dessin de l’illustrateur, et lui donnent un aspect presque cinématographique. Les vignettes sont comme une succession de plans que l’on pourrait voir dans un film, et les yeux, dans le jeu de ces acteurs en papier, devient le centre des non-dits, de ce qui s’exprime sans se dire.

Analyser les cafés : l’humour selon Will McPhail

Le roman graphique est enfin rempli de l’humour fin que l’on connaît à l’illustrateur phare du New Yorker. Will McPhail donne à voir des détails de nos vies quotidiennes, que l’on ne questionne pas, ces tendances que nous suivons tous (y compris le dessinateur, qui ne s’en cache pas), et qui ont pourtant forte matière à ridicule. À travers une analyse des cafés notamment, dont il moque les 12 goûts de lait, les noms « inspirants », les serveurs « Timothée Chalamet », l’illustrateur nous invite, avec une loufoquerie bienveillante, à un peu d’auto-dérision.