Amélie est la co-rédactrice en chef de Cult. Elle est aussi docteure en histoire contemporaine et enseigne à Sciences po – Paris. Elle a choisi, en réaction à la dissolution, de nous parler du mot « alliance ».
Que ce soit dans ma vie de journaliste ou dans ma vie de prof, j’aime toujours revenir aux définitions. Mais avant tout, je dois expliquer mon choix. Pourquoi parler de ce mot-là : « alliance » ? J’aurais pu tout aussi bien choisir « union ». Quand Emmanuel Macron a décidé de transformer la France en partie de poker, j’ai tout de suite pensé que la gauche n’arriverait pas à s’unir à temps. J’ai eu tort. Mais voilà, ces unions passent par des alliances « contre-nature ». Pardon, j’avance trop vite. Une alliance, selon la définition, est une « union contractée par engagement mutuel, mais aussi, « un pacte avec Dieu, dans le judaïsme ». Une union et un pacte, le diable n’est pas loin.
Le diable ou les diables plutôt, tant la période est trouble. Prenons quelques exemples qui me font mal. Quand Rima Hassan, désormais députée européenne, définit l’existence de l’État d’Israël comme étant « une monstruosité sans nom » sans être condamnée par son parti, LFI, je tremble. Quand, au sein du même parti, François Ruffin condamne fermement l’atroce crime antisémite — oui, le viol est un crime commis sur une petite fille juive de 12 ans, à Courbevoie, cela me redonne du baume au cœur, mais quand cet acte ne suscite qu’un léger émoi partout ailleurs, je doute. Quand la droite républicaine et l’extrême droite jouent aux jeux des sept erreurs, je doute encore. Quand Renaissance, autrefois un parti du centre, assume des propos transphobes, vide les caisses de la culture, accable l’écologie, encense le capitalisme… je soupire de tristesse.
C’est là que l’alliance arrive. Une alliance personnelle entre mon âme et mon cœur qui n’a qu’un seul but, tout faire pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Pour moi, femme, juive, parisienne, convaincue que la culture est « essentielle », je sais que je n’ai pas le choix. Je rejoins Raphaël Glucksmann quand il dit : « La seule chose qui importe à mes yeux, c’est que le Rassemblement national ne gagne pas les législatives et ne gouverne pas le pays. La seule façon de faire, c’est qu’il y ait une union de la gauche. C’est notre responsabilité historique. »
En matière de politique, l’alliance n’est pas un mot très opportun, on parle plutôt de coalition. Une alliance, c’est aussi une bague, juste un anneau, qui peut glisser, s’enlever, être donné à un.e autre. Dans le mariage comme dans la campagne, tout n’est pas tout beau tout rose. Le compromis est de mise. Et, parfois, il faut, la gorge serrée, les larmes en torrents et le cœur troué, accepter des unions impossibles pour que la vie soit encore possible, pour celles et ceux qui, comme moi, sont dans des identités minoritaires, ici en France.
Et puis je relève la tête, je regarde l’Europe. Je reviens de Venise, en Italie. J’étais aussi à Bruxelles. Deux pays proches, deux pays qui savent déjà ce que c’est que de vivre à l’extrême droite. L’Europe a basculé il y a déjà longtemps, et moi, dans mon village gaulois, je suis perdue. Comme Ariane Mnouchkine, je me demande, « Qu’est-ce qu’on n’a pas fait ? Ou fait que nous n’aurions pas dû faire ? »
Alors, je ravale ma tristesse, ma peine et ma peur. Je me tourne vers l’alliance comme un pacte pur qui ne permet pas l’indécision. Dans l’alliance, j’entends aussi le « lien ». Je me sens, c’est con, mais c’est comme ça, très liée à la France, et à Paris. Pourtant, sur quatre de mes grands-parents, une seule, ma grand-mère paternelle, Simone, était née en France. Marcelle, Jean et Yeoushua, les trois autres ont été mis hors de leur pays il y a moins de 100 ans. C’est fou comme le corps oublie, comme le déni grimpe. Je me sens « chez moi » dans ce pays qui est le mien depuis finalement si peu de temps.
« L’union fait la force » est un proverbe et la devise nationale de la Belgique, de la Bulgarie, de l’Angola, de la Bolivie, de la Géorgie, de la Malaisie, d’Haïti et de l’Andorre. Vous le saviez ?
Est-ce que les alliances font la force ? Elles sont, que ce soit celle du Nouveau Front populaire, ce renouveau de la gauche plurielle qui, en 1995, avait permis à la gauche de revenir au pouvoir, ou celle entre les droites républicaines, le seul gardien possible du maintien d’une démocratie non autoritaire.
« Pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort nous sépare », disent les chrétien.ne.s devant l’autel. Ces alliances politiques ont en commun le meilleur et le pire. Elles nous obligent à sortir de la séquence nombriliste dans laquelle nous étions, tous et toutes tourné.es vers les mêmes que nous, dans une culture de l’entre-soi total.
Ces alliances m’obligent à tordre mes convictions sans cesse. L’avenir dira si c’était pour le meilleur ou le pire.
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