Depuis le début de la révolution #MeToo, en 2007, le monde du théâtre peine à faire entendre sa voix de façon aussi massive que celui du cinéma. Mais, depuis 48 heures, les révélations du quotidien Libération, qui a publié vendredi 3 décembre les témoignages accablants de plusieurs femmes concernant les actes de Philipe Caubère, lèvent le rideau rouge sur un milieu encore trop protégé malgré des prises de positions et des condamnations claires.
Depuis février 2024, Caubère est mis en examen pour agressions sexuelles, viols et corruption de mineures. Le 3 décembre, Agathe Pujol et Pauline Darcel racontent comment l’acteur les a réduites à un statut d’esclaves sexuelles alors qu’elles étaient mineures. Caubère est un monstre du théâtre, une grande figure avignonnaise. Depuis les années 80, Philippe Caubère qui a été l’un des piliers du Théâtre du Soleil, joue, à de rares exceptions près, seul en scène. Agathe Pujol, toujours dans Liberation raconte avoir été violée de manière répétée de ses 17 à ses 29 ans, entre 2010 et 2022. Elle déclare également que l’homme l’a « faite violer » par des hommes inconnus recrutés sur internet. Le fait entre évidemment en résonance forte avec le procès des crimes de Mazan. Aujourd’hui, elles disent, elles témoignent à visage découvert. L’acte est aussi fort que nécessaire. Pour être crues, elles doivent être vues.
Remontons un peu dans le temps. En 2021, en plein Festival d’Avignon, la colère monte face à une non prise de conscience du secteur du théâtre en France. Contexte : 2021, c’est quatre ans après le début de la mise en examen de Jan Fabre en Belgique. Le plasticien et chorégraphe est finalement condamné en 2022 à 18 mois de prison avec sursis pour des faits de « harcèlement au travail » et un « attentat à la pudeur ». En 2021, donc, le festival d’Avignon a mis en place un système de signalement en interne qui a d’ailleurs mené à l’exclusion de deux personnes. C’était la première fois qu’un signal aussi clair était donné par une telle institution : les actes ne peuvent pas rester impunis. Quelques mois plus tard, c’est en octobre 2021 que le mouvement #MeTooThéâtre se matérialise à la suite des révélations concernant Michel Didym, metteur en scène et alors directeur de la Mousson d’été. L’enquête pour viol est toujours en cours. Le hashtag devient un collectif, le collectif #MetooThéâtre. Il se compose à sa création de : Anna Baillij, Louise Brzezowska-Dudek, Agathe Charnet, Marie Coquille-Chambel, Charlotte Fermand, Séphora Haymann, Céline Langlois, Coline Lepage, Celia Levi, Julie Ménard, Romain Nicolas et Julie Rossello-Rochet. Elles et lui parlent et dénoncent l’impunité des metteurs en scène qui s’autorisent tout en raison d’un beau spectacle.
Malgré des prises de paroles régulières, depuis, les condamnations restent assez rares. Le 14 octobre 2023, Luc Rosello, le directeur du Centre Dramatique National de l’Océan Indien est visé par une plainte pour agression sexuelle. Le 6 mai 2024, le dramaturge Pierre Notte est mis en examen pour viol sur un ancien élève. Mais comme le rappelle sur sa page Instagram le collectif #MeTooThéâtre : « Depuis plus bientôt 3 ans, le collectif #MeTooThéâtre lutte contre les VSSH (NDLR : Violences et harcèlement sexistes et sexuels) dans le milieu théâtral. Nous recevons des témoignages, nous accompagnons les victimes dans leur processus médiatique et judiciaire, nous informons les structures de leurs obligations relatives au droit du travail au regard des éléments en notre possession, nous sensibilisons, visibilisons des affaires… et nous opérons des signalements au Ministère de la Culture. Tout n’est pas parfait dans les dispositifs et les protocoles mis en place, loin s’en faut, mais nous étions assurées d’avoir une interlocutrice privilégiée à l’écoute et réactive, madame Agnès Saal. ».
Plus de vingt ans après l’assassinat de Marie Trintignant, les faits ne cessent d’augmenter, les actes manquent encore, les condamnations restent rares malgré des signalements permanents. Espérons que la Une de Liberation du 3 janvier 2025 permettra à d’autres agresseurs d’être montrés et jugés.