« Adolescence » : que cache le succès de la série ?
par Lisa Galstian16.04.2025
Depuis sa sortie le 13 mars, Adolescence est devenue la série la plus regardée dans plus de 80 pays. Jamie Miller, un adolescent de 13 ans, est arrêté pour le meurtre d’une camarade de classe. Le temps de quatre épisodes d’une heure, on suit le cauchemar par lequel sa famille est frappée de plein fouet. Notre avis…
Les avis sont dithyrambiques. En un mois, Adolescence a détrôné Bridgerton et est devenue la quatrième série anglophone la plus regardée de toute l’histoire de Netflix. Et pourtant, on ne se prend pas une claque en la regardant.
Une problématique d’actualité, mais partiellement survolée
Adolescence n’est pas seulement une série phénomène, c’est un sujet de société. À tel point qu’elle sera diffusée dans les salles de classe au Royaume-Uni. « Nous devons nous attaquer aux problèmes soulevés par cette série révolutionnaire », a déclaré le Premier ministre britannique Keir Starmer. Elle traite frontalement des violences sexistes, du harcèlement scolaire, des failles éducatives et des tensions intergénérationnelles. « Le succès de la série parle plus de notre actualité d’adultes que de la jeunesse d’aujourd’hui », nous explique Emmanuel Niddam, Docteur en psychopathologie et psychanalyse. « C’est notre regard d’adultes sur la jeunesse qui y est mis en scène ».
La série met notamment en scène la figure de l’« incel », involuntary celibate, un jeune adolescent persuadé que son absence de relations amoureuses et sexuelles est la faute des femmes. Jamie Miller en est une incarnation saisissante, mais partielle. Certes, on perçoit bien son isolement, ses frustrations, sa honte d’être jugé « moche », mais Adolescence passe à côté de l’essentiel : les rouages de cette radicalisation. Pourquoi en est-il arrivé là ? Comment prévenir ce genre de comportements ? Quels en sont les signes ?
« La violence physique est toujours précédée d’une violence de pensée », poursuit Emmanuel Niddam. « Jamie est humilié » et « cet enchaînement de la honte (…), de l’humiliation (…), puis de la violence est véritablement la voie royale qui mène aux crimes ». Voilà ce qu’on aurait aimé voir davantage. Pas seulement l’explosion, mais aussi la mèche.
À trop vouloir impressionner, on oublie de toucher
Ce qui fait le plus parler, c’est le plan séquence. Du début à la fin, on s’enferme avec les personnages pour les accompagner dans leur descente aux enfers. Bien que le premier épisode soit accrocheur, les suivants peinent à maintenir la même intensité, à l’exception de la scène à huis clos entre Jamie et la psychologue. Très vite, une question se pose : jusqu’où peut-on contrôler la mise en scène sans perdre la sincérité ?
À force de tout contrôler, la mise en scène étouffe. Elle laisse peu de place à la spontanéité, à l’imprévu, à l’émotion brute. On finit par ressentir une forme d’artificialité, comme si le malaise était soigneusement mis en scène, plutôt que vécu. Là où d’autres séries comme Euphoria parviennent à aborder des sujets complexes avec plus de souffle, de sincérité et de profondeur, Adolescence semble parfois prisonnière de sa scénographie. Tourner entièrement en plan séquence était un pari audacieux, mais difficile de dire qu’il est réussi. Certes, le résultat impressionne sur le plan technique, et les acteurs s’en sortent avec brio. Mais finalement, ce choix semble davantage une contrainte qu’une réelle nécessité artistique.
Pour Emmanuel Niddam, ces images « se passent dans des vies qui ressemblent à celles des classes moyennes les plus majoritaires en Europe et en Amérique du Nord. Il y a donc un effet de proximité majeur », et c’est là une des clés du succès de la série.
Ce qu’on cache sous le tapis, Adolescence le dévoile sans répit
Le triomphe d’Adolescence ne tient pas qu’à ses prouesses artistiques. Il repose aussi sur un ressort plus profond : notre rapport à la violence. Celle que l’on apprend à dompter, mais qui revient sans cesse. « Qui n’a jamais été traversé par l’envie de la violence ? Qui n’a jamais été confronté à l’humiliation ? Cette série vise juste », poursuit l’expert avant d’ajouter qu’ « il s’agit de retrouvailles entre le spectateur et une part de lui-même qu’il préfère ignorer ». C’est donc une forme de catharsis et, dans une certaine mesure, d’identification. Nos « désirs sadiques ou masochistes » deviennent ainsi admissibles dans le champ social. Psychologiquement, la série ouvre les portes sur ce qui nous traverse collectivement. À défaut de tout expliquer en profondeur, elle interroge.« Ce type de série est plutôt bénéfique, (…) elle permet de dire ce qui agite les humains malgré eux », conclue Emmanuel Niddam.
Adolescence frappe juste, mais comme souvent, plus le bruit est fort, plus la claque est douce. Voire inexistante.
Visuel : © Netflix
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