C’est au vieux port de la cité phocéenne que la fondation Art Explora a décidé d’ancrer jusqu’au 18 juin la première étape française du périple méditerranéen de son bateau-musée. Un rêve et une ambition devenus désormais une réalité concrète et détonante, avec le Festival Art Explora, qui offre aux visiteurs une expérience totalement inédite.
Ce qui s’impose immédiatement au regard lorsqu’on s’approche du vieux port de Marseille, ce sont les imposantes voiles de 25 m de haut du Art Explorer, qui déploient une œuvre de la plasticienne Laure Prouvost sur plus de 1800 m2. Amarré face au Quai des Belges, l’incroyable catamaran de 47m de long semble avoir métamorphosé la physionomie du port.
Une force d’attraction irrésistible, qui repose certainement sur les caractéristiques uniques et hors normes de ce bateau-musée. Imaginé par les architectes Axel de Beaufort et Guillaume Verdier, le chantier naval du plus grand catamaran du monde a duré plus de 3 années et a nécessité des trésors d’ingéniosité. « Il y a beaucoup d’ingénierie derrière tout ça… Il y a un espace muséal modulable qui fait plus de 100 m2, c’était un vrai challenge de gérer ces volumes dans un bateau, ce n’est pas aussi simple, contrairement à ce que je pensais initialement. Donc ça a été un travail de longue haleine », résume Axel de Beaufort.
Au-delà des superlatifs, on comprend l’ambition fondatrice du festival Art Explora : amener l’art et la culture au plus près des populations. C’est guidé par cette vision, que Frédéric Jousset, président de la fondation Art Explora, s’est lancé dans cette aventure : « Ce projet, vous l’avez compris, part d’une intuition, à la base personnelle, et d’un goût profond pour la navigation. Je suis un navigateur depuis des décennies et j’ai une passion pour l’art. Et je me suis dit, est-ce qu’il n’y aurait pas un moyen de concilier les deux ? Et c’est comme ça que j’ai posé les bases du projet du Art Explorer et du festival Art Explora en me disant, le but de la fondation c’est de toucher un maximum de monde (…). On pense que la vraie culture doit aller à la rencontre des publics, là où ils sont. Et du coup… la mer nous paraissait un moyen évident. 60% de la population mondiale habite à moins de 60 minutes des côtes. »
Une approche de mécénat itinérant résolument singulière, qui projette d’attirer 2000 visiteurs par jour dans les 20 villes-étapes du programme 2024-2026, construit autour de 15 pays du pourtour méditerranéen. Un véritable défi pour les équipes de la fondation, qui doivent repenser le développement des publics à chaque escale. « Avant tout, ce sont des partenariats avec les partenaires locaux, la mairie, souvent, la préfecture, dans certaines villes, qui nous permettent de travailler vraiment main dans la main avec les institutions qui nous accueillent. On travaille aussi toujours avec un commissaire local qui va se charger de toute la programmation événementielle, conférences, concerts, spectacles de danse, projections de cinéma… L’idée, c’est vraiment de s’inscrire dans le local », souligne Agnès de T’Serclaes, DGA de la Fondation.
Alors, c’est évidemment à bord du bateau que l’on a envie de démarrer l’expérience du festival.
Une fois équipé d’un casque sans fil, de surchaussures, et dûment briefé par les équipes du festival, on peut embarquer à bord.
C’est sur le pont supérieur que démarre la croisière immobile. Confortablement installé sur les transats, on se laisser emporter par une odyssée sonore de 11 minutes imaginée par l’IRCAM, qui sillonne les futures escales méditerranéennes du festival. Les yeux fermés, le visage doucement caressé par le vent, on se téléporte au grè de la dizaine d’ambiances sonores proposées, qui se mêlent aux bruits environnants du port, de la mer…
Une fois revenu de ce périple, on peut regagner le pont principal, pour découvrir « Présentes », une exposition immersive imaginée en collaboration avec le Musée du Louvre, qui met à l’honneur les représentations des figures féminines dans les civilisations méditerranéennes. Une expérience à vivre en deux temps. L’exposition démarre par la projection d’un documentaire de 10 minutes construit autour d’œuvres des collections du Louvre. Une narration révélant les représentations traditionnelles des femmes au sein des civilisations du bassin méditerranéen.
Les visiteurs sont ensuite invités à entrer dans la galerie immersive numérique. Une fois assis, l’expérience démarre. Un tunnel d’écrans LED nous fait pénétrer dans la richesse des collections du Louvre, mises en valeur par la captivante bande sonore de Soundwalk collective, et mises en scène via des effets visuels convaincants.
Après ce retour aux origines, il est un peu difficile de revenir au temps présent. Mais on arrive tout de même à bon port en sortant de la galerie par le pont avant, qui nous offre une magnifique vue sur Marseille, avant de regagner la terre ferme.
Car c’est au pied du bateau Art Explorer que s’inscrit la riche programmation du festival. Un véritable village itinérant, composé de 2 pavillons amovibles imaginés par l’agence Wilmotte & Associés, et d’un espace scénique, l’agora, pouvant accueillir l’ensemble de la manifestation. Le pavillon central fait la part belle à l’art contemporain, en proposant l’envoutante exposition « Sous l’azur », imaginée par la commissaire Rebecca Larmarche-Vadel et la directrice artistique de la fondation, Blanche de Lestrange.
Inspiré par un mythe hittite qui pensait que chaque soir, le soleil plongeait dans la mer pour éclairer les fonds marin, « Sous l’azur » nous invite effectivement à évoluer sous la Méditerranée, pour aller à la rencontre des œuvres des 24 artistes réunis dans ce parcours. On retiendra notamment la vidéo de Jean Painlevé, la sculpture imposante de Marguerite Humeau, qui fait écho à la joyeuse série de peintures « Gens de la mer » de Joan Miro, en parfaite harmonie avec la série d’œuvres d’Etel Adnan, face à laquelle l’installation d’Adrian Villar Rojas nous interroge sur l’archéologie du temps présent.
L’exposition photo « Contre ; Courant » des commissaires Amanda Abi Khalil et Danielle Makhoul aborde la question de l’exil et nous rappelle que la méditerranée est aussi malheureusement « le plus grand cimetière à ciel ouvert », dixit Amanda Abi Khalil. Une réalité martelée par les œuvres de la vingtaine d’artistes réunis dans cette exposition, telles que l’œuvre vidéo de Sirine Fattouh, la série de Nabila Halim, le portrait en creux de Ceuta de Randa Maroufi, la série fantomatique de Walid Raad ou encore les rives à la dérive de Beyrouth révélées par la série de Catherine Cattaruzza.
La seconde partie du pavillon est consacré à la VR. La dizaine de casques offrent aux visiteurs l’accès à un catalogue d’expériences produites autour du bassin méditerranéen. On s’y laissera volontiers transporter au cœur des splendeurs de l’âge d’or de Venise, Athènes et Alexandrie par l’expérience Merveilles méditerranéennes d’Ubisoft. On laisse transi après s’être téléporté sur L’île aux morts de Benjamin Nuel. On s’immerge avec curiosité dans l’œuvre d’Artemesia Gentileschi, de Quentin Darras et Gaëlle Mourre.
A chaque escale du festival, un commissaire associé est invité à imaginer une programmation pluridisciplinaire d’une dizaine de jours.
Pour cette étape inaugurale, la commissaire Martha Kirszenbaum a souhaité interroger les liens culturels entre Marseille et certaines villes de l’itinérance, comme Beyrouth, Istanbul, Le Caire, Tunis, Alger ou Tanger… « J’ai vraiment voulu développer une réflexion sur la culture populaire de la région méditerranéenne à travers la musique, la danse, le film, la cuisine ou le football, mettre en valeur les échanges culturels qui résultent de la migration et de la colonisation et de montrer ici l’histoire orale qui résulte de ces transferts culturels », explique Martha Kirszenbaum.
Une programmation qui réunira 260 artistes et qui se déploie notamment sur l’agora du village, mais aussi « dans des lieux institutionnels de la ville, comme des musées, des centres d’art, ou des lieux de vie quotidienne de quartier. »
De nombreux temps forts attendent les Marseillais jusqu’au 18 juin, comme la carte blanche à Belsunce project, la série de concerts proposée par Alain Weber avec notamment l’Ensemble Maddalena, le DJ set de Cheb Runner, un concert de Shobee, des conférences , un programme de films (rétrospective de Valentin Noujaim, rétrospective de Lina Soualem).
Et il faut avouer que la première soirée inaugurale a tenu toutes ses promesses. Après une ouverture assurée par le pianiste prodige marseillais Mourad, l’agora s’est transformée pour accueillir le ballet Preljocaj qui présentait un extrait du fameux spectacle Gravité autour du Boléro de Ravel. Puis, en début de soirée, les Marseillais se sont pressés pour venir écouter le showcase énergique et festif de Zaho de Sagazan. Une parfaite rampe de lancement pour le DJ set du collectif marseillais Filles de Blédards, qui a clôturé cette belle soirée d’inauguration.
Alors, si vous êtres Marseillais de cœur ou de raison, ou si vous cherchiez une bonne raison pour vous rendre en Juin à la cité phocéenne, n’attendez plus ! Le festival Art Explora nous offre en juin une expérience unique et marquante, qui nous invite avec intelligence à changer notre regard sur le monde méditerranéen.
Visuels (c) Adrien Chupeau / Valentin Popineau