Pour la 78ème édition du Festival du Film de Locarno, « The Deal », nouvelle série fascinante du réalisateur suisse Jean-Stéphane Bron, nous emmène au cœur des négociations sur le nucléaire iranien et questionne la place des émotions dans les grandes décisions géopolitiques, mêlant habilement réalité et fiction. Après être passée à Series Mania, « The Deal » était à l’honneur ce lundi 11 août sur la Piazza Grande.
« The Deal », coproduite, entre autres, par la RTS et Arte, est un écho dérangeant à l’actualité. Au générique, apparaissent des photos du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, et de l’ancien président iranien Hassan Rohani, des images de drone et de fumées de bombe atomique. Plongée dans l’ambiance feutrée des palaces suisses du Lac Léman autour d’une table de négociations. Écrite en deux ans dès 2018 avec, entre autres, la scénariste Alice Winocour, et s’appuyant sur des recherches documentaires approfondies (dont les mémoires de Wendy Sherman, secrétaire d’Etat adjointe américaine en 2014/15 sous la présidence de Barack Obama), cette série en 6 épisodes de 50 minutes environ, s’inspire de faits réels : les longues discussions diplomatiques menées en Suisse en 2015 entre l’Iran et un groupe de puissances internationales (les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne), avec un rôle important de médiation joué par la Suisse et un préaccord signé à Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien (le JCPOA – Joint Comprehensive Plan of Action).
Dans un contexte actuel de tension géopolitique extrême , « The Deal » évoque « le monde d’avant, en transformation où il y avait encore une volonté de dialogue, vers le monde d’aujourd’hui où la force est devenue la loi », affirme le cinéaste lors de sa conférence de presse de ce matin. Aujourd’hui, il paraît en effet difficile d’imaginer réunir tout le monde autour d’une table. En Iran, la vision optimiste d’un ministre des Affaires Étrangères (joué par l’acteur américain d’origine iranienne Anthony Azizi ) plutôt progressiste, est opposée à la cruauté des Gardiens de la Révolution, qui utilisent la force, et qui torturent leur propre peuple pour maintenir l’ordre. « Tous les éléments clés du dialogue – le contrôle par l’Agence internationale de l’énergie atomique, la durée de l’accord, les taux d’enrichissement de l’uranium – sont rigoureusement exacts. Je voulais que nous ayons la possibilité de comprendre des démarches politiques aussi complexes, et que nous puissions saisir les tensions propres à chaque camp. » affirme Jean-Stéphane Bron dans un entretien ce matin au journal Le Temps.
Côté américain également, un secrétaire d’État, nonchalant et plus soucieux de sa popularité que de justice, contraste avec sa sous-secrétaire (jouée par Juliet Stevenson), déterminée à combattre la barbarie, inspirée par l’histoire de sa mère déportée. L’actrice belge, Veerle Baetens, incarne brillamment et avec conviction la cheffe de la médiation suisse et se consume peu à peu au fil des épisodes, entre enjeux mondiaux et retrouvailles avec son ancien amour.
Pour la première fois dans l’histoire du festival de Locarno, c’est une série et non un long-métrage qui est à l’honneur ce lundi soir sur l’écran extérieur géant de la Piazza Grande. Un feuilleton à gros budget (12 millions de francs suisses) qui réussit à redonner à la plupart des protagonistes sa part d’humanité dans un conflit aux conséquences inhumaines. Pourtant, les implications sont déséquilibrées (la Chine semble plus préoccupée par sa conquête de la Lune ou les Russes par le rachat de l’uranium en excès des iraniens) et les répercussions de signature d’un accord pour une grande puissance comme les Etats-Unis sont moindres, alors qu’il est question de vie ou de mort pour Israël ou la jeunesse rebelle iranienne. Partant d’un fait réel de hacking par le Mossad (services secrets israéliens) du système de surveillance des grands hôtels suisses dans lesquels se déroulaient les décisions diplomatiques en 2015, les auteurs mettent en scène des attaques chirurgicales très ciblées de la part d’Israël forcé de veiller seul à garantir sa sécurité, malgré un soutien fragile des américains. Les auteurs montrent avec finesse les nuances des personnages, les limites du bien et du mal qui se déplacent constamment , les élans d’humanité même dans des missions extrêmes refusant ainsi une vision trop manichéenne de la politique . Les grandes décisions croisent en permanence les histoires personnelles de chacun : Alexandra Weiss, la cheffe de médiation Suisse, est prête à prendre le risque de faire péricliter les négociations en tentant de sauver son amour perdu, l’ingénieur nucléaire iranien . De nombreuses thématiques traversent les épisodes : la place des femmes en politique qui parviennent parfois à faire accepter un accord avec plus de douceur mais une main de fer, les manipulations diplomatiques et la pression psychologique subie par les protagonistes, les relations père-fille, l’héritage transgénérationnel et les conséquences des guerres sur les générations futures, mais aussi l’exil et la séparation comme un acte d’amour ultime. Une série brillante, où la fiction parvient parfois à mieux faire comprendre la réalité , et qui éclaire sur des enjeux géopolitiques actuels majeurs.
« The Deal » (2025) série en ligne à partir de mercredi sur le site de Play RTS, RTS Un dès le 28 août et à partir du 18 octobre sur le site d’Arte. Retrouvez le programme du Festival du film de Locarno.
Visuel : © Bandea Part Films – Les Films Pelleas – Gaumont Television