Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis viennent d’ouvrir le 13 mai avec Dark Horse de Meytal Blanaru. À l’issue de cette première soirée, nous avons rencontré Frédérique Latu, la directrice de ce festival qui rend la danse militante.
Frédérique Latu : Le volet international est tout à fait réel, oui. Cela dit, je ne le restreins pas à des équipes venues de l’autre bout du monde. Pour moi, cela renvoie plutôt à des artistes porteurs d’identités plurielles, de trajectoires multiculturelles, cosmopolites. Des personnes qui peuvent être nées ici ou ailleurs, qui vivent ici aujourd’hui, mais dont le travail est nourri de cette multiplicité.
L’international, ce peut être une équipe brésilienne – comme ce soir – entièrement venue du Brésil et pour laquelle nous avons organisé une tournée. Mais cela peut tout aussi bien désigner des artistes installés en France, originaires de Côte d’Ivoire, d’Argentine ou d’ailleurs. Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont chacun habite son corps avec ces héritages culturels entremêlés.
C’est vrai que les Rencontres sont qualifiées de festival de création. L’objectif est de présenter des projets peu ou pas encore montrés. Cela ne signifie pas que nous ne programmons que des artistes émergents ou des premières mondiales. L’idée, c’est plutôt de trouver un équilibre entre différents formats et différents parcours artistiques.
Nous avons, en tant que festival, cette chance – ou cette responsabilité – de pouvoir faire confiance à des artistes, parfois sans avoir vu la pièce terminée, et de leur offrir un espace d’expression libre. Ce n’est pas toujours aussi simple en saison dans un théâtre, où pèsent des contraintes de programmation, d’équilibre artistique et de remplissage. Nous, nous sommes spécialisés en danse contemporaine, un peu défricheurs, parfois frondeurs : cela nous permet de prendre des libertés, d’oser. Même si cela implique une part d’incertitude : sur cette édition, je n’ai pas vu la moitié des pièces programmées.
Frédérique Latu : Il y a effectivement plusieurs raisons à cela. D’abord, je crois que je suis, de nature, plutôt « dernière minute ». J’ai envie de rester en prise directe avec ce que les artistes créent aujourd’hui, de garder le plus d’opportunités ouvertes jusqu’au bout. D’autres lieux programment à un an et demi, deux ans d’avance. C’est très bien, cela donne de la visibilité aux artistes. Mais c’est aussi précieux de pouvoir être programmé dans un festival international… dans un mois et demi. Cela raccourcit les temporalités, cela les ancre dans le présent.
Et puis, je l’avoue, quand j’ai un coup de cœur, j’ai envie de le partager tout de suite, pas dans deux ans. En tant que festival, nous avons cette souplesse, et je tiens à la préserver.
Il faut aussi dire que le festival se construit en co-construction avec de nombreux partenaires. Certains projets s’élaborent sur un temps long, un an, un an et demi à l’avance. D’autres se décident plus tardivement, grâce à des lieux qui nous laissent des cartes blanches. On bloque des créneaux, et les pièces viennent ensuite. Cela permet de rester en dialogue constant avec le réel.
Prenons l’exemple de Renato Cruz. Nous avons monté la tournée de sa pièce précédente, Dança Frágil , avec l’Espace 1789, le Carreau du Temple et Châtillon, au printemps 2024. En janvier, alors que j’étais en train de finaliser la programmation de cette édition, je l’ai contacté : « Où en es-tu ? » Il m’a répondu qu’il créait une nouvelle pièce en mai. J’ai vu l’opportunité : l’ouverture du festival coïncidait quasiment. Cela fait sens d’être au plus proche de son actualité, de sa manière de créer aujourd’hui, au Brésil.
Oui, nous avons un important volet de coproduction et de soutien à la résidence, notamment pour les artistes installés en France. Nous n’avons pas de lieu en propre, donc nous travaillons en réseau avec nos partenaires pour accueillir les artistes : dans des théâtres, des conservatoires, des lieux de création comme la Chaufferie, ou même dans des équipements de quartier, selon les besoins.
Sur le festival, nous collaborons avec une trentaine de lieux répartis sur seize villes. Cela représente environ soixante rendez-vous. Et en dehors du festival, il y a aussi Boost, Playground, et toutes les actions que nous menons à l’année. Il y a évidemment des fidélités. D’une édition à l’autre, on retrouve des artistes que l’on accompagne sur la durée.
Elle n’avait jamais été montrée en France, en effet. C’était assez fou. Mais, vous savez, ce sont des dynamiques réciproques. Si vous, critiques, n’alliez pas voir ce qui se passe ailleurs, nous n’aurions pas toujours cette curiosité d’aller creuser certaines démarches. La programmation, ce n’est pas une illumination subite, c’est un travail précis, d’écoute, de confiance, de circulation.
Et puis parfois, oui, il y a des artistes que nous avons envie de suivre, de reprogrammer, parce que nous croyons profondément à leur démarche. C’est le cas de Rafaëlle Giovanola, d’Emmanuel Eggermont, de Valeria Giuga – qu’on retrouve parfois plutôt dans Playground. C’est aussi le cas de Lucia, de Mother Tongue. L’an dernier, elle a présenté un extrait en cours dans la plateforme Danse Dense. Je l’ai suivie, j’ai vu la pièce aboutie, et j’ai voulu la montrer dans le cadre du festival. Ce sont des rebonds, des trajectoires qu’on accompagne.
Frédérique Latu : Nous avons la chance d’être implantés en Seine-Saint-Denis, un département qui soutient fortement la création. Nous n’avons pas connu de baisse de nos subventions de fonctionnement, ce qui est précieux. Mais un festival comme les Rencontres, avec ses multiples volets, ne peut fonctionner uniquement avec cela. Nous dépendons de nombreux dispositifs, d’aides ponctuelles, de financements croisés. Et surtout, ce qui devient de plus en plus difficile, c’est le manque de visibilité.
La programmation sort tard aussi parce que je ne connais pas, au 1er janvier, le budget dont je disposerai pour l’année. C’est une réalité partagée par beaucoup de structures. Nous passons notre temps à construire des équilibres, à solliciter des partenaires, à trouver des alliances pour pouvoir accueillir les artistes dans des conditions dignes.
Et les lieux eux-mêmes, de leur côté, voient leur marge artistique réduite. Cela limite leur capacité à co-produire ou co-réaliser. L’incertitude se multiplie. Résultat : chaque date, chaque proposition, demande aujourd’hui un effort bien plus considérable qu’auparavant. Elle suppose davantage de partenaires, de démarches, d’énergie.
Ce ne sont pas uniquement les montants qui baissent, c’est tout un système qui devient plus complexe, plus fragile. Mais nous restons exigeants : nous tenons à respecter les conditions demandées par les artistes. Cela nous semble essentiel.
Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis se déroulent jusqu’au 15 juin
Frédérique Latu © DR