2025, L’Année Joséphine Baker : l’artiste arc-en-ciel

En 1925, une jeune femme métisse de 19 ans, valises en mains, débarquait en France le cœur plein d’espoir, la musique plein la tête et portant les marques de la ségrégation dans sa chair: Joséphine Baker.

2025, Joséphine l’éternelle

Cette année est placée sous le signe Joséphine Baker, humaniste indépendante, danseuse, chanteuse, actrice, meneuse de revue et résistante française. Il y a 100 ans elle arrivait à Paris et intégrait La Revue Nègre, il y a 50 ans elle s’éteignait à Paris dans le 16^ème arrondissement. Pour célébrer ces deux anniversaires, des évènements pour honorer la mémoire de cette artiste multiple à la trajectoire remarquable, sont prévus dans tout l’hexagone.

Une autre femme, la chorégraphe et danseuse franco-sénégalaise, Germaine Acogny, fait comme Joséphine de la danse un moyen d’expression. Directrice de l’Ecole des Sables au Sénégal, haut lieu de formation pour les danseurs africains et du monde entier, la danseuse célèbre cette année Joséphine Baker à l’occasion de ce double anniversaire. Sur les pas de l’icône des années folles, on pourra retrouver sa création hommage au Théâtre des Champs-Elysées. Le tout premier solo de sa carrière était alors inspiré par une autre figure marquante de ces années et intrinsèquement liée à Baker, Léopold Sédar Senghor.  Le Théâtre Bobino (Paris) met également à l’honneur l’emblème des années 30 intitulé Josephine Baker – Le Musical, sur scène 12 artistes interprètent son destin musical. Au Hall de la chanson (Paris) La Revue Arc-en-ciel présente la vie de Joséphine Baker à travers onze tableaux colorés, mêlant danse, chant et projections, pour rendre hommage à son engagement artistique et militant. En Dordogne, dans le Château des Milandes où elle a vécu, labellisé Maison des Illustres en 2012 par le Ministère de la Culture, une soirée Osez Joséphine aura lieu le 4 octobre pour marquer cette année spéciale.

 « Ce qui m’ensorcelle c’est Paris, Paris tout entier »

C’est lorsqu’elle arrive à la Gare Saint-Lazare, le 22 septembre 1925, que Joséphine Baker comprend que c’est ici, à Paris, que son avenir l’attend. Alors qu’elle débarque sur le quai, une main se tend pour l’aider à descendre son bagage, une main blanche. La jeune femme, surprise, lève la tête, sur le visage (pâle) de l’inconnu.e se dessine un sourire, un sourire véritable et empreint d’estime. Joséphine, de son vrai nom Freda Josephine McDonald, se sent alors immédiatement considérée, pas comme un être inférieur, pas comme une femme noire obligée de s’asseoir au fond du bus, mais comme une personne à part entière. Dans sa chanson J’ai deux amours, Joséphine Baker chante : « Ce qui m’ensorcelle c’est Paris, Paris tout entier ».

10 jours plus tard le 2 octobre 1925, elle se produira pour la première fois sur la scène du Théâtre des Champs Élysées avec sa danse sauvage.

Repérée par Caroline Dudley à Brodway, créatrice de La Revue Nègre et alors l’épouse d’un attaché de l’ambassade des États-Unis à Paris, elle accepte d’intégrer la revue. Le succès est immédiat et plus d’une centaine de représentations auront lieu. Joséphine Baker, presque nue, dansant sur un Charleston avec sa légendaire ceinture de bananes fait sensation, malgré les réserves de certains spectateur.rices. Qui est cette femme mariée dansant au milieu de tous pratiquement nue ?

Elle quittera ensuite la revue pour en intégrer une autre, Les Folies Bergères, dont elle deviendra la meneuse.

La petite fille du Missouri

Freda Josephine McDonald, c’est d’abord une enfant née au fin fond du Missouri, à Saint-Louis, un des plus hauts lieux de la ségrégation aux Etats-Unis, d’une mère métisse afro-américaine et amérindienne, fille d’esclave, et d’un père blanc aux origines espagnoles. C’est dans ce contexte peu favorable que naît, le 3 juin 1906, la petite Joséphine. De parents musiciens et pauvres, elle baigne depuis l’enfance entre la danse et la musique. Les deux époux montent ensemble un numéro de chant et de danse mais un an plus tard, le père abandonne sa famille sans avoir reconnue Joséphine. Par la suite, la mère se remarie et aura trois nouveaux enfants.

Une enfant qui débute son existence sous la croupe d’une riche famille blanche pour qui elle travaille comme domestique et qui lui fera subir des violences. Elle partage ses journées entre l’école et les travaux ménagers. À 13 ans, elle se marie mais le mariage ne durera que quelques mois. Comme ses parents elle passera par l’art de rue et commencera à interpréter des numéros de danse avant de se produire au Standard Theater avant de débuter à Broadway, au music-hall.

Identité et condition métisse

La vie de la star des années 30 est marquée par son identité ethnique : une femme ni noire ni blanche. L’écrivaine Leila Slimani déclarait lors d’une interview accordée à l’émission France Inter que « Le métissage est une damnation, le métis est condamné à ne pas savoir qui il est, ce sont toujours les autres qui le lui disent ». Joséphine est quant à elle « trop blanche pour les personnes noires, trop noire pour les personnes blanches ». Aux Etats-Unis, sa couleur de peau est considérée comme une anomalie, en France elle est admirée. Il faut dire qu’à cette période le pays est traversé par une vague « négrophile ». L’ « exotisme » est à la mode. En parallèle, un autre monument du patrimoine français fait sensation, le poète Léopold Sédar-Senghor qui appartient à une autre revue : La Revue du monde noir. Il arrive à Paris au lendemain de Joséphine, en 1928. C’est dans cette revue que l’écrivain instaure le concept de négritude qui va à l’encontre de celui de négrophilie. Léopold Senghor explique que « La négritude est aux nègres ce que la civilisation européenne est aux Européens, […] », alors que la négrophilie est la culture noire aux prises du regard des personnes blanches.

Un symbole d’indépendance

Dans ce contexte, la star du music-hall parvient à s’emparer des clichés pour faire sa place et exposer son talent. C’est dorénavant les personnes blanches qui sont à sa merci.  La chercheuse en histoire, Michell Chresfield, affirme qu’ « en reprenant l’imaginaire du « sauvage africain », elle satisfait la demande d’exotisme du public mais elle prend aussi le pouvoir en se moquant de stéréotypes raciaux qu’elle finit par transcender ». Mais cependant à cette image de la femme noire érotisée, fantasmée en particulier par la gente masculine blanche, Joséphine Baker ajoute sa touche personnelle, bien loin des stéréotypes de genre. Pas de lèvres boudeuses ou petites lippes pour la danseuse, Joséphine accompagne son spectacle de facéties : elle louche, elle grimace au rythme de ses mouvements. Une danse à la fois stéréotypée et féministe.

Celle que l’on appelait la Vénus noire, possédait aussi bien des amants que des maîtresses, sa chanson J’ai deux amours, serait en fait son coming-out bisexuel. On lui prête des liaisons avec la  célèbre peintresse Frida Kahlo ou encore l’illustre Colette.

Une humanité totale

Nous avons toutes et tous en tête ces images en noir et blanc, Joséphine Baker, prononçant un discours, aux côtés de Martin Luther King,  le 28 août 1963. Ainsi, la danseuse à la peau nue, n’oublie pas son Amérique natale, malgré son succès en France, encore écrasée sous le poids de la ségrégation. Joséphine Baker a refusé de se produire aux États-Unis tant que les lieux de spectacle pratiquaient la ségrégation raciale. Elle exigeait que ses représentations soient ouverte à toutes et tous, sans distinction de couleur de peau. La célébrité de la Vénus noire va populariser le mouvement artistique et intellectuel, Harlem renaissance, luttant contre les discriminations sociales et raciales.

« C’est la France qui m’a faite ce que je suis, je lui ai donné mon cœur, et je lui donnerai ma vie » c’est sur ses mots qu’en septembre 1939 lorsque la France déclare la guerre à l’Allemagne nazie que la téméraire Joséphine Baker décide de s’engager à ses côtés. La danseuse grâce à sa célébrité Joséphine arrive à récolter des informations qu’elle transmet à l’aide de ses partitions au  capitaine Jacques Abtey, son agent de traitement. Joséphine Baker fait de son Château des Milande (Périgord) un haut lieu de la résistance, elle y accueille résistantes et résistants et y cache des personnes juives. En 1935 elle décide de passer son brevet de pilote et devient sous-lieutenant de l’armée de l’air.

En 1961 la star des années folles est décorée à la fois de la Médaille de la résistance et de la légion d’honneur pour ses actions militaires.

L’utopie humaniste de la Vénus noire, naturalisée française en 1937, ne s’arrête pas à ses actions militaires et sociales. En 1947 elle épouse le chef d’orchestre Jo Bouillon avec qui elle adoptera 12 enfants de nationalités et d’origines différentes, sa  « tribu arc-en-ciel » comme elle l’appelle.  Mais les frais pour subvenir aux besoins de sa famille et entretenir le château sont trop importants. Séparée de Jo Bouillon et malgré les nombreuses tournées qu’elle enchaîne, elle est contrainte de céder la demeure en 1969.

Une voix qui résonne encore

Joséphine Baker fait partie de l’histoire française. Ainsi, plusieurs œuvres cinématographiques mettant en scène le Paris d’antan font référence à la Vénus noire. En 2011, dans le film du réalisateur américain Woody Allen, Minuit à Paris, l’histoire d’un écrivain en panne d’inspiration qui la nuit venue bascule dans le Paris des années 30, l’actrice et mannequin Sonia Rolland incarne Joséphine, qui apparaît dans le film en tant que figure majeure des années folles. 6 ans plus tard, Sonia Rolland prêtera sa voix à France Télévisions pour raconter la star du music-hall. Il en va de même dans le film animé du réalisateur français Sylvain Chomet, Les Triplettes de Belleville, plusieurs fois primés, où le dessinateur fait renaître, le temps d’une scène, la Vénus noire. Une scène courte mais loin d’être anodine. On y trouve une Joséphine, ceinture de bananes à la taille, étouffée par le désir des spectateurs masculins blancs qui sans retenue sautent tous sur la scène, les yeux exorbités dans l’espoir d’attraper la danseuse. Mais Joséphine réussit à s’extraire du plateau et les hommes, sans s’apercevoir qu’elle a disparu, finissent de manière absurde par se battre entre eux. Un tableau à l’image du caractère indépendant de la danseuse et critique de la négrophilie assumée d’une époque.

De l’autre côté de l’Atlantique, dans le pays qui l’a vu naître et qui l’a rejeté, on célèbre aussi Joséphine. Un biopic retraçant sa vie a été annoncé, avec l’auteure-compositrice et danseuse  britannique, FKA Twigs pour l’incarner.

Si Joséphine Baker est encore si présente dans les cœurs et dans les mémoires c’est parce qu’elle est une figure mythique de l’indépendance tant par ses actes de résistance et son projet de fonder la tribu arc-en-ciel, que par sa sexualité libérée. Mais aussi grâce à ses danses devenues légendaires. Un visage présent dans tous les esprits et particulièrement en France dont elle a marqué l’histoire.

Elle aussi un symbole de diversité auquel chacun.es s’accroche dans un pays qui en manque encore cruellement. L’actrice et réalisatrice Aïssa Maïga prononçait sur la scène des César en 2020, un discours percutant critiquant le manque de diversité de la « grande famille du cinéma ».