2 077 618 725 dollars : Une image du marché musical en 2025

Taylor Swift est-elle l’arbre qui cache la destruction de la forêt ?

Pour tenter de répondre à la question, intéressons-nous à quelques chiffres de Live Nation, numéro un mondial de la production de spectacles vivants et d’événements.

L’entreprise a largement dominé le marché, notamment depuis le rachat de Ticketmaster en 2010, lui permettant de contrôler à la fois la production des concerts et la billetterie de nombreux événements majeurs. Avant la pandémie, sa croissance dépassait les 7 % par an. Puis 2020 est arrivé, et la machine s’est brutalement grippée : –84 % de chiffre d’affaires, conséquence directe de l’annulation en chaîne des concerts à l’échelle mondiale.

2021 marque un retour progressif du public et des tournées reprogrammées, avec une progression spectaculaire de 232 %. Mais c’est surtout 2022 qui acte un changement structurel du marché : +165 % par rapport à 2021, et surtout +45 % par rapport à 2019, l’année de référence pré-Covid. Suivent +36 % en 2023, +2 % en 2024, puis +6 %, signes d’une consolidation après une croissance fulgurante.

Conclusion : le public s’est considérablement élargi, et surtout, la demande est désormais constante.

Pourquoi un tel engouement pour les concerts?

Plusieurs facteurs se conjuguent.

D’abord, la sortie des confinements a révélé un besoin profond : se rassembler et partager une expérience collective. Ce plaisir-là, les écrans, même très grands, ne savent pas le reproduire. Le public veut faire la fête, et les artistes le sentent bien.

Ensuite, les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant. Ils sont devenus un levier bien plus puissant qu’une pleine page dans un magazine. Être au concert « où il faut être » est désormais un acte social. Les influenceurs brandissent leurs billets comme des trophées, organisent un événement dans l’événement, et vont jusqu’à faire gagner des places VIP à leurs communautés.

Enfin, il y a l’aspect économique pour l’artiste. Côté streaming, des plateformes comme Spotify hébergent aujourd’hui plus de 100 millions de titres, avec des millions de nouveautés ajoutées chaque année. Résultat : un effet de saturation qui plafonne mécaniquement les revenus des artistes, malgré des hausses de prix d’abonnement plutôt bien acceptées par le public.

Les supports physiques (vinyles, CD, cassettes) connaissent plus ou moins un regain d’intérêt, avec des marges théoriquement supérieures au streaming. Les maisons de disques redoublent de créativité : rééditions anniversaires, séries limitées dédicacées, vinyles multicolores, coffrets luxueux. Mais, hors quelques exceptions (encore Taylor Swift), ces ventes ne suffisent pas à financer durablement la production de nouveaux albums pour l’artiste.

D’où la multiplication des tournées et des dates, d’autant plus rentables que le public est prêt à payer, parfois très cher, pour s’évader le temps d’un concert.

Le cas Oasis : quand le concert devient un phénomène de société

La reformation inattendue d’Oasis pour une tournée mondiale, annoncée comme unique, a déclenché un emballement quasi historique. L’événement a été relayé par toutes les chaînes d’information internationales, comme s’il s’agissait d’une reformation des Beatles. Les réseaux sociaux se sont enflammés, les influenceurs évoquant déjà « l’événement du siècle ».

Sans surprise, les ventes ont explosé dès l’ouverture. Ticketmaster (encore Live Nation) a appliqué une tarification dynamique, calquée sur le modèle des compagnies aériennes. En Grande-Bretagne, les prix ont atteint de tels sommets que le Premier ministre est intervenu à la Chambre des Communes pour dénoncer cette pratique, pourtant déjà courante aux États-Unis.

Dans le même temps, des vidéos issues de la production ont circulé, montrant l’osmose entre le groupe et le public. Chaque nouvelle date annoncée était prise d’assaut. Le phénomène social, soigneusement entretenu, rappelait les plus belles heures de la Beatlemania. Et bien sûr, l’opération s’est prolongée par des albums live, des rééditions, des coffrets… et même des livres.

Manipulation ? Peut-être. Efficacité ? Assurément.

Aujourd’hui, le concert est devenu un enjeu économique majeur, comme jamais auparavant. À Paris, que ce soit à l’Accor Arena, à la Salle Pleyel ou à l’Adidas Arena, les concerts s’enchaînent à un rythme inédit, pour le plus grand plaisir du public.

Cette programmation est pensée, organisée et marketée avec un professionnalisme redoutable. La foule s’y précipite parfois quel qu’en soit le prix. Peu d’artistes remettent réellement le système en cause, tant qu’il leur permet de vivre de leur musique.

Mais cet emballement a aussi un effet vertueux.

En 2025, Live Nation a produit d’immenses machines comme Beyoncé ou Lady Gaga, tout en accompagnant des artistes comme Wolf Alice, John Butler ou Allie Sherlock, moins connus du grand public. Cet écosystème leur offre une visibilité mondiale auprès d’un public qui n’a pas toujours les moyens de payer une place à 200 euros, mais qui veut continuer à voir de bons concerts.

Rock’n’roll is here to stay

En 2025, l’industrie musicale mondiale n’est plus en révolution permanente, mais en phase d’ajustement. Le streaming reste central, le concert demeure irremplaçable, et la technologie ouvre autant de perspectives que de questions.

L’année 2026 s’annonce comme une période de consolidation, avec un enjeu clair : mieux valoriser la musique, tout en préservant la diversité et la créativité qui font sa richesse.

Le streaming nous fait découvrir chaque jour de nouveaux sons. Il a permis à un petit pays comme la Corée du Sud de transformer la K-pop en phénomène mondial. À vous désormais de faire preuve de curiosité, de sortir des sentiers balisés par les influenceurs et les marketeurs, et d’aller découvrir en concert de nouvelles pépites, capables de procurer un plaisir comparable à celui des grandes stars.

Bons concerts 2026.